L’Assemblée nationale avalise le projet d’extension de l’expérimentation sur les cours criminelles

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L’Assemblée nationale avalise le projet d’extension de l’expérimentation sur les cours criminelles

En raison de la crise sanitaire, le gouvernement souhaite que le nombre maximum de départements autorisés à expérimenter les cours criminelles passe de 10 à 30. 

Créées à titre expérimental par la loi de programmation et de réforme pour la justice promulguée le 23 mars 2019, les cours criminelles départementales sont compétentes pour juger les personnes majeures poursuivies, hors récidive, pour un crime puni de 15 à 20 ans de réclusion, en lieu et place des cours d’assises, sans jury, par un collège de cinq magistrats professionnels, dont deux des assesseurs peuvent être des magistrats honoraires ou exerçant à titre temporaire. Prévue pour une période de 3 ans, l’expérimentation est limitée par la loi à un maximum de 10 départements. Objectifs : lutter contre l’engorgement des cours d’assises par un audiencement rapide de ces crimes qui représentent plus de la moitié des affaires jugées aux assises (viols, homicides involontaires, vols à main armée…) et limiter la pratique de la requalification en délit pour qu’ils soient jugés plus rapidement en correctionnelle (et notamment des viols, requalifiés en agressions sexuelles).


Adapter la procédure en matière criminelle
Examiné en procédure accélérée, le projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’UE a été débattu par l’Assemblée nationale du 11 au 15 mai 2020.

Son article 1er prévoit d’habiliter le gouvernement à légiférer par ordonnance pour adapter la justice en matière criminelle, « compte tenu de la forte perturbation du fonctionnement des cours d’assises du fait de la crise sanitaire », précise l’exposé des motifs du projet de loi. Ce, afin « de garantir les possibilités de tirage au sort de jurés en nombre suffisant, de permettre aux premiers présidents des cours d’appel ou au président de la chambre criminelle de la Cour de cassation ou aux conseillers par eux désignés de modifier la désignation des cours d’assises devant statuer en appel, et enfin d’augmenter le nombre de départements dans lesquels est conduite l’expérimentation de la cour criminelle instituée par la loi du 23 mars 2019 ». Ces dispositions n’ont pas suscité de remarques de la part du Conseil d’État. Interrogé par le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale Guillaume Kasbarian, le ministère de la Justice a indiqué qu’il souhaitait étendre l’expérimentation à 30 départements, toujours sur la base du volontariat, et qu’il ne s’agissait pas d’une généralisation de l’expérimentation, celle-ci devant se poursuivre jusqu’à son terme mais dans un nombre plus important de départements.

« Une fois les cours criminelles installées dans un certain nombre de ressorts, 
il n’y aura pas de retour en arrière »

Oppositions. Les oppositions à cette extension de l’expérimentation à de nouveaux départements se sont immédiatement manifestées, dénonçant une atteinte au principe des jurys populaires, une étape vers la disparition des cours d’assises et une décision dictée par une politique de gestion des flux. «Nous ne pouvons que rappeler l’opposition qui était la nôtre de la création des cours criminelles dont la composition et le mode procédural constituent une rupture du principe de l’oralité des débats et tranchent le lien entre la justice et les citoyens, a réagi dès le 12 mai le Conseil national des barreaux dans un flash-info. L’extension de l’expérimentation à 30 cours au lieu de 11 traduit la volonté affichée des pouvoirs publics de contourner le principe de l’expérimentation au profit d’une création qui apparaît irréversible. Nous ne pouvons que regretter et dénoncer, au regard des enjeux démocratiques et de la place des victimes, ce détournement. » Dans un communiqué, le Syndicat de la magistrature (SM) estime que « les conséquences d’une extension irraisonnée de cette expérimentation sont certaines : une fois les cours criminelles installées dans un certain nombre de ressorts, il n’y aura pas de retour en arrière pour instaurer à nouveau des cours d’assises là où elles ne siègeront plus, et avec ce risque d’une généralisation à venir de ce dispositif, censé n’être jusqu’à présent qu’à l’essai, dont la Chancellerie ne manquera pas de vanter les atouts au seul prisme gestionnaire des stocks, au mépris de la qualité de la justice et des droits des parties ».


Premier bilan à 6 mois. 
Dans son rapport, le député LREM Guillaume Kasbarian dresse un état des lieux des premiers mois d’expérimentation des cours criminelles. Sur les 7 départements volontaires et autorisés par un arrêté du 25 avril 2019 (les Ardennes, le Calvados, le Cher, La Réunion, la Moselle, la Seine-Maritime et les Yvelines), 6 y participent depuis le 5 septembre 2019, le département des Ardennes ayant prévu de le faire courant 2020 après la reprise normale des activités judiciaires. Et l’expérimentation a depuis été étendue à 2 autres départements (l’Hérault et les Pyrénées-Atlantiques) par un arrêté du 2 mars 2020. « Il ressort des premiers enseignements de l’expérimentation transmis par le ministère de la Justice que la cour criminelle permet de juger les crimes dans des délais plus rapides (avec un temps d’audience plus court), dans des conditions respectant le contradictoire, les droits de la défense et la qualité des audiences et pour un coût de fonctionnement moindre », résume le rapporteur. Avec quelques données chiffrées à l’appui : « 2 jours d’audience en moyenne au lieu de 3 jours et demi aux assises », des peines « d’une moyenne de 10,2 ans d’emprisonnement ferme, pour des peines de 15 à 20 ans de réclusion criminelle encourues, seuls 8 % des peines d’emprisonnement prononcées étant assorties d’un sursis », un taux d’appel en l’état des décisions rendues par les cours criminelles « de 24 % » contre 32 % pour les décisions rendues en première instance aux assises, et un coût de fonctionnement moyen « de 1 100 € par jour » contre 2 060 € aux assises. « Les avocats intervenus dans les sessions estiment en particulier que les principes du contradictoire et de l’oralité des débats ont été sauvegardés devant la cour criminelle », peut-on également lire dans le rapport. Interrogée par le député, la Chancellerie a par ailleurs précisé que 9 départements s’étaient d’ores et déjà portés volontaires pour poursuivre l’expérimentation : l’Aube, l’Essonne, la Guyane, le Maine-et-Loire, Paris, la Sarthe, la Seine‑Saint‑Denis, le Val-de-Marne et le Val-d’Oise.


« Il ne s’agit pas d’une justice expéditive, comme certains le redoutaient »


Une solution parmi d’autres. 
« Cette mesure s’inscrit dans le contexte très particulier de la crise sanitaire », souligne Joëlle Munier, présidente de la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires et présidente du tribunal judiciaire de Caen (Calvados) qui fait partie des cours expérimentales. Il s’agit de faire face « aux difficultés rencontrées par un certain nombre de cours d’assises parce que de nombreux de dossiers n’ont pas pu être traités pendant cette période, alors que des personnes doivent être jugées afin de respecter des délais raisonnables ou des délais de détention » et « aux difficultés rencontrées pour organiser la tenue des audiences d’assises tout en respectant les mesures de protection sanitaires ». « Il faut positionner les jurés de façon à respecter les distances, poursuit-elle. Or ce n’est pas possible dans toutes les salles d’audience qui se trouvent souvent dans de vieux palais de justice, ni dans toutes les salles de délibéré qui sont souvent assez exiguës ». Pour y remédier, la Conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires a transmis un certain nombre de propositions à la Chancellerie au cours d’une des nombreuses réunions en visioconférence organisées par le ministère depuis la mi-mars. « Lorsque la situation des assises a été abordée, nous avons notamment proposé la possibilité de redésigner des cours d’assises pour statuer en appel quand cela est possible, mais cela ne l’est pas toujours pour des raisons de disponibilité des magistrats et d’adaptation des salles d’audience. Nous avons aussi envisagé une publicité restreinte des audiences en limitant l’accès du public, même si cette solution est mal adaptée aux procès d’assises, ou encore de louer des salles, tels que les théâtres qui sont actuellement fermés. Mais c’est une solution assez lourde à mettre en œuvre sur le plan logistique et administratif et qui implique l’octroi d’un budget dédié. » C’est donc dans ce panel de solutions que s’inscrit l’extension de l’expérimentation des cours criminelles, dont la présidente de la Conférence a eu « des retours positifs du côté des magistrats » concernés, ainsi que « du côté des avocats, en tout cas, ici, à Caen », témoigne-t-elle. « Il ne s’agit pas d’une justice expéditive, comme certains le redoutaient », assure-t-elle. Mais la nécessité de mobiliser cinq magistrats « est une contrainte qu’il faut intégrer dans une période où on nous demande de privilégier le télétravail et où des magistrats sont confrontés à des problèmes de garde d’enfants ». Il faut prendre également en compte le fait que les magistrats honoraires ou temporaires ont souvent dépassé l’âge de vulnérabilité, fixé à 65 ans. Même s’ils peuvent siéger moyennant un certificat médical attestant qu’ils peuvent travailler, « cela reste des personnes vulnérables » au regard de l’épidémie. « L’extension de cette expérimentation n’est pas la solution à tout, mais comme la situation est très disparate en fonction des cours, il faut un panel de solutions adaptables à chaque juridiction ».


Les députés adoptent la ligne du gouvernement. 
Le 11 mai 2020, la commission spéciale de l’Assemblée nationale a rejeté les deux amendements proposés par le Conseil national des barreaux visant à supprimer les dispositions du projet de loi qui étendent l’expérimentation des cours criminelles. Elle a néanmoins adopté un amendement de repli qui limite cette extension à un maximum de 30 départements. Et le ministre chargé des relations avec le parlement, Marc Fesneau, a assuré aux députés qu’il ne s’agissait pas d’une généralisation mais bien de la poursuite de l’expérimentation. Lors de l’examen du texte en séance publique des 14 et 15 mai, le gouvernement a choisi de supprimer l’habilitation à légiférer par ordonnance sur l’ensemble des mesures visant à adapter la procédure de jugement des crimes aux conséquences de l’urgence sanitaire et de les inscrire directement dans le projet de loi. L’amendement gouvernemental prévoyant qu’au 1er alinéa du III de l’article 63 de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice « le mot : “dix” est remplacé par le mot : “trente” », a été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture.

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