COUR D’ASSISES : Appel, action civile et augmentation des dommages et intérêts (Cass. crim., 22 janv. 2020, n° 19-80.122, P+B+I*)

Procédure d'appel et délais pour conclure

COUR D’ASSISES : Appel, action civile et augmentation des dommages et intérêts (Cass. crim., 22 janv. 2020, n° 19-80.122, P+B+I*)

La Cour de cassation a statué en ce sens :

« Par arrêt du 29 novembre 2012, prononcé par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Toulouse, M. X a été mis en accusation devant la cour d’assises de la Haute-Garonne pour incendie volontaire d’un immeuble d’habitation, ayant entraîné la mort de l’un de ses occupants, et des blessures sur deux autres.
Par arrêt du 17 janvier 2014, il a été reconnu coupable et condamné à vingt-cinq ans de réclusion criminelle, la confiscation des scellés étant ordonnée. Par arrêt du même jour, la cour a statué sur les intérêts civils. M. X a relevé appel de ces décisions, et le ministère public a formé appel incident.

Désignée pour juger l’affaire en appel, la cour d’assises du Tarn-et-Garonne a statué par arrêts du 3 décembre 2015, sur l’action publique et l’action civile. Ces arrêts ont été cassés par la Cour de cassation, en date du 8 février 2017, (pourvoi n°16-80.391), au motif que la feuille de motivation contenait une motivation du choix de la peine prononcée. L’affaire a été renvoyée à la cour d’assises du Tarn, qui a statué, sur l’action publique et l’action civile, par les arrêts attaqués.

Sur le premier moyen ;
Selon l’article 327 du Code de procédure pénale, le président de la cour d’assises statuant en appel donne, à l’ouverture des débats, connaissance du sens de la décision rendue en premier ressort, de sa motivation et de la condamnation prononcée.
La Cour de cassation interprète cette disposition comme empêchant le président, lorsque la cour d’assises statue sur renvoi après cassation d’un précédent arrêt rendu par une cour d’assises statuant en appel, de donner connaissance du sens de la décision annulée, de sa motivation et de la condamnation prononcée (Crim. 15 avril 2015, n°13-88.519). Cette disposition n’empêche pas le président de la cour d’assises de se borner à rappeler l’existence de la décision annulée.
Dans la présente affaire, le procès-verbal des débats indique que le président de la cour d’assises : “a évoqué seulement l’existence de l’arrêt de la cour d’assises d’appel du TARN et GARONNE en date du 3 décembre 2015 sans faire référence à sa motivation, cette décision ayant été cassée et annulée en toutes ses dispositions”.

Sur le deuxième moyen ;
L’arrêt attaqué mentionne que la cour et le jury ont délibéré en chambre du conseil et le procès-verbal des débats indique que les membres de la cour, les jurés de jugement et les jurés supplémentaires se sont retirés dans la chambre des délibérations, ces derniers sans pouvoir manifester leur opinion. Il n’apparaît pas de contrariété dans ces mentions, qui n’établissent pas que les dispositions de l’article 355 du Code de procédure pénale aient été méconnues.
En effet, d’une part, les deux expressions de chambre du conseil et de chambre des délibérations peuvent être indifféremment utilisées pour désigner un même lieu.
D’autre part, les mentions critiquées n’établissent pas que la délibération se soit tenue en présence d’autres personnes que les membres de la cour, du jury et les jurés supplémentaires.

Sur le troisième moyen ;
Le procès-verbal des débats mentionne que le président a versé aux débats et donné lecture du courrier en date du 23 septembre 2018, rédigé par M. et Mme Y, parties civiles, absentes et non représentées à l’audience, parents de la victime, décédée dans l’incendie, J. Y. La feuille de motivation indique que M. Y a confirmé à l’audience avoir vu l’accusé, avant l’incendie, mettre dans sa voiture des bidons d’essence semblables à ceux retrouvés sur les lieux de l’incendie. Ces mentions ne sont pas contradictoires entre elles, dès lors qu’il en résulte que la feuille de motivation s’est référée au contenu du courrier de la partie civile, lu à l’audience.

Il résulte de la feuille de questions et de la feuille de motivation que, pour déclarer l’accusé coupable de dégradation volontaire par incendie d’un immeuble d’habitation, ayant entraîné la mort de l’un de ses occupants et les blessures de deux autres, la cour d’assises retient qu’il a répandu de l’essence dans l’escalier d’un immeuble puis y a mis le feu. La cour d’assises ajoute que l’accusé a reconnu les faits à l’audience, qu’il a été filmé pendant le départ de feu par une caméra installée par le propriétaire des lieux, qu’un vêtement taché d’essence, identique à celui qu’il portait sur les images du film, a été saisi à son domicile et qu’une partie civile l’a vu, avant l’incendie, ranger dans sa voiture des bidons semblables à ceux retrouvés sur les lieux de l’incendie et qui contenaient l’essence utilisée pour l’allumer.
La feuille de motivation souligne que le fait d’allumer cet incendie un dimanche, avant cinq heures du matin, alors que les véhicules stationnés devant l’immeuble montraient qu’il était occupé, traduit la volonté de mettre directement en danger la sécurité et la vie de ses occupants, l’accusé n’ayant pu se méprendre sur les conséquences de son acte. Si cette énonciation exprime la gravité du comportement ainsi réprimé, qui entre dans la détermination de la sanction, elle ne constitue pas la motivation de la culpabilité d’une infraction distincte. En l’état de ces motifs, la cour d’assises a caractérisé en tous ses éléments le crime dont elle a reconnu l’accusé coupable.

Sur le quatrième moyen ;
La feuille de motivation justifie la peine de réclusion criminelle prononcée en relevant le comportement froid et impassible de l’accusé après le départ de feu, sa personnalité paranoïaque et psychorigide, son peu d’introspection et de compassion, ainsi que par les conséquences irréversibles de l’incendie dans lequel une jeune femme a trouvé la mort et à l’occasion duquel trois autres victimes ont failli périr.
Par ces énonciations, la cour d’assises a indiqué les principaux éléments l’ayant convaincue dans le choix de la peine, et a ainsi justifié sa décision, conformément à la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018, sans se référer à une infraction dont elle n’était pas saisie. Elle n’avait pas à prononcer de délibération particulière pour fixer la période de sûreté à la moitié de la peine. En effet, en application de l’article 132-23 du Code pénal, en l’absence de délibération particulière de la cour d’assises, la période de sûreté était, en l’espèce, fixée à cette durée, une délibération spéciale n’étant nécessaire que pour la réduire ou la porter aux deux-tiers de la peine. Aucune obligation de motiver la durée de la période de sûreté de plein droit ne résulte d’une disposition de la loi, ni des décisions du Conseil constitutionnel n° 2018-742 QPC du 26 octobre 2018 et n° 2019-770 QPC du 29 mars 2019.

Mais sur les cinquième, sixième et septième moyens ;
Vu l’article 380-6 du Code de procédure pénale :
Selon ce texte, la cour d’assises, statuant en appel sur l’action civile, ne peut sur le seul appel de l’accusé, du civilement responsable ou de la partie civile aggraver le sort de l’appelant. La partie civile ne peut, en cause d’appel, former aucune demande nouvelle ; toutefois, elle peut demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis la précédente décision.
La Cour de cassation interprète cette disposition comme permettant à la victime, constituée partie civile en première instance, non appelante, de demander une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice subi depuis la première décision (Crim. 10 juin 2015, no14-84.345). Mais l’arrêt civil de la cour d’assises, statuant en appel, qui accorde à une partie civile des dommages et intérêts sans préciser qu’ils réparent un préjudice souffert depuis la décision de première instance encourt la cassation (Crim. 10 mai 2012, no11-81.437, Bul. no114 ; Crim. 15 avril 2015, no13-88.519).
L’arrêt civil attaqué a accordé, à des parties civiles non appelantes, des dommages et intérêts qui n’avaient pas été attribués en première instance, sans constater qu’ils réparaient des préjudices subis depuis la décision prononcée par la cour d’assises statuant au premier degré.
En statuant ainsi, la cour d’assises n’a pas justifié sa décision et méconnu le texte et le principe ci-dessus exposé et rappelé. Sa décision encourt donc la cassation, qui sera imitée à la décision sur les intérêts civils ».

https://www.christian-finalteri-avocat.fr/actualites/droit-penal/