TRANSFUSION SANGUINE : LA PREUVE PEUT ETRE APPORTEE PAR TOUS MOYENS ET IL N’EST PAS NECESSAIRE D’ECRITS CONTEMPORAINS DES FAITS
Cass, Civ 1, 9 septembre 2020, n°19-16.658
« (…)
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 SEPTEMBRE 2020
L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, dont le siège est […] , a formé le pourvoi n° Z 19-16.658 contre l’arrêt rendu le 14 février 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 2, chambre 2), dans le litige l’opposant :
1°/ à la caisse primaire d’assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, dont le siège est […] ,
2°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est […] ,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, de la SCP Ortscheidt, avocat de la société Allianz IARD, et l’avis de M. Sudre, avocat général, après débats en l’audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen rapporteur, M. Chevalier, conseiller, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 14 février 2019), Mme D…, ayant subi au sein de la maternité régionale […] à […] (la maternité), une hystérectomie totale le 6 août 1980, a appris, en 1990, qu’elle était contaminée par le virus de l’hépatite C. Imputant sa contamination à une transfusion sanguine subie au décours de cette intervention, elle a saisi l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM) d’une demande d’indemnisation de ses préjudices en application de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique.
2. Après avoir admis l’origine transfusionnelle de cette contamination et conclu des transactions avec Mme D…, son époux et ses enfants et petit-enfant visant à la réparation au titre de la solidarité nationale des préjudices subis consécutifs à celle-ci, l’ONIAM a, par acte du 24 septembre 2015, assigné en garantie la société Allianz IARD (la société Allianz), en sa qualité d’assureur du centre régional de transfusion sanguine de Nancy (le CRTS). La caisse primaire d’assurance maladie de Meurthe-et-Moselle est intervenue volontairement à l’instance et a sollicité le remboursement de ses débours liés à la contamination de Mme D….
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L’ONIAM fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande de garantie présentée contre la société Allianz et de l’avoir mise hors de cause, alors « que la preuve de l’administration des produits sanguins fournis par l’établissement de transfusion sanguine dont l’assureur est appelé en garantie sur le fondement de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique peut être administrée par tout moyen ; qu’en subordonnant l’effet probatoire de l’attestation adressée à Mme D… le 21 novembre 1996 par le docteur I… certifiant que les dossiers d’hospitalisation de l’intéressée montraient que cette dernière avait « effectivement reçu le 6 août 1980, pendant (son) intervention, 5 poches d’hématies » à la condition que cette attestation soit contemporaine de l’intervention médicale et qu’elle soit corroborée par un autre document établi à l’occasion ou dans les suites de l’intervention, la cour d’appel a méconnu l’article précité. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 1221-14 du code de la santé publique :
4. Selon ce texte, les victimes de préjudices résultant d’une contamination par le virus de l’hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l’ONIAM. Elles justifient de l’atteinte par le virus de l’hépatite C et des transfusions de produits sanguins ou des injections de médicaments dérivés du sang. L’office recherche les circonstances de la contamination et cette recherche est réalisée notamment dans les conditions prévues à l’article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Lorsque l’ONIAM a indemnisé une victime, il peut directement demander à être garanti des sommes qu’il a versées par les assureurs des structures reprises par l’Etablissement français du sang, que le dommage subi par la victime soit ou non imputable à une faute.
5. Il en résulte qu’il incombe à la victime imputant sa contamination par le virus de l’hépatite C à une transfusion de produits sanguins d’établir par tout moyen l’existence d’une telle transfusion en vue de bénéficier d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale et que, lorsque l’ONIAM, estimant qu’une telle preuve a été apportée et que les conditions prévues à l’article 102 précité sont remplies, a indemnisé la victime et qu’il demande à être garanti par l’assureur d’un établissement de transfusion sanguine, il lui appartient alors de justifier, en premier lieu et par tout moyen, de la réalité de la transfusion.
6. Pour rejeter la demande de l’ONIAM et mettre hors de cause la société Allianz, après avoir constaté que celui-ci versait au soutien de son action, des lettres de l’Etablissement français du sang qui précisaient que dix-sept produits sanguins avaient été fournis par le CRTS pour Mme D… les 5 et 6 août 1980 et que, si l’enquête réalisée avait démontré que douze donneurs présentaient une sérologie négative au virus de l’hépatite C, cinq autres donneurs n’avaient pu être contrôlés, ainsi qu’une lettre d’un médecin de la maternité, adressée le 21 novembre 1996 à Mme D…, attestant, au vu de ses dossiers d’hospitalisation qu’elle avait reçu le 6 août 1980, lors de son intervention, cinq poches d’hématies, l’arrêt relève que les mentions figurant dans cette lettre ne sauraient suffire à prouver la réalité de la transfusion alléguée dans la mesure où cet élément n’est pas contemporain de l’intervention du 6 août 1980 mais date de plus de quinze ans après et où il n’est étayé par aucune autre pièce, notamment aucun document médical établi à l’occasion ou dans les suites de cette intervention.
7. En statuant ainsi, en exigeant, dans le cas d’une preuve par tout moyen, un écrit contemporain de l’intervention médicale ou corroboré par une pièce établie à l’occasion ou dans les suites de l’intervention, la cour d’appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 14 février 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ;
Condamne la société Allianz IARD aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales
Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté l’ONIAM de sa demande en garantie présentée contre la société Allianz Iard et d’avoir mis hors de cause cette dernière ;
Aux motifs que si l’ONIAM, agissant à l’encontre de l’assureur dans le cadre de son action en garantie, bénéficie de la présomption d’imputabilité instituée par l’article 102 de la loi du 4 mars 2002, cela ne dispense pas l’ONIAM d’établir en amont la réalité d’une transfusion sanguine ; qu’au soutien de son action, l’ONIAM verse aux débats des lettres émanant de l’EFS précisant que 17 produits sanguins ont été distribués ou livrés par l’ex CRTS de Nancy pour madame D… les 5 et 6 août 1980, ces lettres mentionnant aussi que l’enquête réalisée a démontré la sérologie négative au virus de l’hépatite C de 12 donneurs mais que celle des 5 autres donneurs n’a pu être vérifiée, le compte-rendu anatomo-cytopathologique du 22 mars 1996 concernant madame D… ainsi que divers courriers et comptes-rendus datés du 6 mai 1996 au 4 avril 2012 se rapportant à son suivi médical et à son traitement pour l’hépatite C et une lettre adressée le 21 novembre 1996 par la maternité régionale […] de […] à madame D… indiquant qu’elle a reçu le 6 août 980 lors de son intervention, 5 poches d’hématies ; que, comme le fait valoir la société Allianz Iard, l’enquête transfusionnelle telle qu’elle résulte des lettres de l’EFS susvisées ne justifie que de la délivrance de produits sanguins à l’établissement où madame D… était hospitalisée, non de leur administration à celleci, une commande de produits sanguins pouvant être faite dans la perspective d’une intervention, à titre de précaution, sans nécessairement conduire à leur utilisation pour la personne concernée ; que les comptes rendus et courriers médicaux qui sont produits remontant pour les plus anciens à 1996, ne se rapportent qu’au suivi et au traitement de madame D… pour l’hépatite C sans faire état de l’origine ou des causes possibles de cette maladie, en particulier d’une transfusion sanguine ; que la mention figurant dans la lettre de la maternité […] du 21 novembre 1996 ne saurait enfin suffire à prouver la réalité de la transfusion alléguée dans la mesure où cet élément n’est pas contemporain de l’intervention du 6 août 1980 mais date de plus de quinze ans après et où il n’est étayé par aucune autre pièce, notamment aucun document médical établi à l’occasion ou dans les suites de cette intervention ; que la preuve de l’administration de produits sanguins à madame D… n’est ainsi pas rapportée ;
Alors que la preuve de l’administration des produits sanguins fournis par l’établissement de transfusion sanguine dont l’assureur est appelé en garantie sur le fondement de l’article L. 1221-14 du code de la santé publique peut être administrée par tout moyen ; qu’en subordonnant l’effet probatoire de l’attestation adressée à madame D… le 21 novembre 1996 par le docteur I… certifiant que les dossiers d’hospitalisation de l’intéressée montraient que cette dernière avait « effectivement reçu le 6 août 1980, pendant (son) intervention, 5 poches d’hématies » à la condition que cette attestation soit contemporaine de l’intervention médicale et qu’elle soit corroborée par un autre document établi à l’occasion ou dans les suites de l’intervention, la cour d’appel a méconnu l’article précité ;
Alors en outre que le patient ne disposant d’aucun accès direct à son dossier médical avant l’entrée en vigueur des dispositions de l’article L. 1111-7 du code de la santé publique issues de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, et ce dossier médical n’étant conservé que pour une durée de vingt ans, en exigeant que le courrier par lequel le médecin compétent avait répondu à la demande d’accès au dossier effectuée par madame D… et dans lequel ce médecin faisait état, après consultation du dossier médical afférent à l’intervention du 6 août 1980, de la réalisation d’une transfusion sanguine pendant cette intervention, soit complété d’un document établi à l’occasion ou dans les suites de cette intervention, cependant que l’ONIAM ne disposait d’aucun accès au dossier médical et que la victime n’avait pu accéder autrement par l’intermédiaire de l’auteur de ce courrier au dossier compte tenu de ce que le délai de conservation de ce dernier était expiré avant l’entrée en vigueur des dispositions précitées de loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, la cour d’appel a subordonné la mise en oeuvre de la garantie de l’ONIAM prévue par l’article L. 1221-14 du code de la santé publique à une preuve dont l’administration était impossible et a ainsi méconnu le texte précité ;
Alors subsidiairement qu’il résulte des termes clairs et précis du courrier adressé à madame D… le 21 novembre 1996 par le docteur I… que les dossiers d’hospitalisation de l’intéressée montrent que cette dernière a « effectivement reçu le 6 août 1980, pendant (son) intervention, 5 poches d’hématies » ; qu’en retenant qu’il ne résulte pas de cette attestation la preuve de la réalité d’une transfusion de produits sanguins, la cour d’appel a violé l’article 1134 devenu 1103 du code civil et le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis (…) ».