TIERCE PERSONNE TEMPORAIRE : INDEMNISATION INTEGRALE CHARGES COMPRISES

DROIT PENAL : Procureurs délégués

TIERCE PERSONNE TEMPORAIRE : INDEMNISATION INTEGRALE CHARGES COMPRISES

Cass, Civ 2, 24 septembre 2020, n°19-21.317

 » (…)

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 25 juin 2019), M. F… a été victime, le 2 mai 2011, d’un accident corporel de la circulation dans lequel a été impliqué le véhicule conduit par M. O…, assuré par la société MAAF assurances (l’assureur).

2. Après une expertise judiciaire, M. F… a assigné M. O… et l’assureur devant un tribunal de grande instance aux fins d’indemnisation, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de la Savoie et de la mutuelle du bâtiment et des travaux publics du Sud-Est.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés

3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. F… fait grief à l’arrêt de fixer à la somme de 41 825,79 euros l’indemnisation au titre des frais divers et de limiter à la somme totale de 273 370,17 euros la condamnation in solidum prononcée à l’égard de M. O… et l’assureur alors « que le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance familiale ni subordonné à la justification de dépenses effectives ; qu’en jugeant, pour fixer à 16 euros le coût horaire de la tierce personne temporaire servant de base à l’indemnisation de M. F…, qu’il convenait de déduire les charges sociales afin de tenir compte de ce qu’il avait bénéficié d’une assistance familiale (arrêt, p. 7, in fine et p. 8, § 4), la cour d’appel a violé l’article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

5. Le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance familiale ni subordonné à la justification de dépenses effectives.

6. Pour évaluer l’indemnité due au titre de l’assistance par une tierce personne, compte tenu de la réduction d’autonomie de la victime entre l’accident et la date de consolidation, l’arrêt constate que la victime a bénéficié de l’aide effective de son épouse, énonce que l’indemnité au titre de la tierce personne ne saurait être réduite en cas d’assistance bénévole par un proche, sauf à soustraire le coût des charges sociales, puis retient le taux horaire de 16 euros, compte tenu de la déduction des charges sociales.

7. En statuant ainsi, en déduisant de l’indemnisation allouée à la victime les charges sociales au seul motif que la tierce personne qui l’avait assistée avant sa consolidation était une aide familiale, la cour d’appel a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

8 La cassation du chef de décision évaluant la somme due à M. F… au titre de l’assistance par une tierce personne emporte la censure des chefs de dispositif qui ont fixé à la somme de 41 825,79 euros les frais divers, intégrant la somme allouée au titre de la tierce personne, et condamné in solidum M. O… et l’assureur à payer à M. F… la somme globale de 273 377,17 euros en réparation de son préjudice corporel causé par l’accident du 2 mai 2011, provisions non déduites, avec les intérêts au taux légal à compter de la notification de l’arrêt.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a fixé les frais divers à la somme de 41 825,79 euros et condamné in solidum M. O… et l’assureur à payer à M. F… la somme de 273 377,17 euros en réparation du préjudice corporel causé par l’accident du 2 mai 2011, provisions non déduites, avec les intérêts au taux légal à compter de la notification de la décision, l’arrêt rendu le 25 juin 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Lyon ;

Condamne M. O… et la société MAAF assurances aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. O… et la société MAAF assurances et les condamne à payer à M. F… la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille vingt, et signé par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. F…

SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION ainsi libellé :

« Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR fixé à la somme de 41 825,79 euros l’indemnisation au titre des frais divers et d’AVOIR limité à la somme totale de 273 370,17 euros la condamnation in solidum prononcée à l’égard de M. O… et la société Maaf Assurances ;

AUX MOTIFS QUE, sur la tierce-personne provisoire, M. O… et la SA Maaf limitent leur proposition à la prise en charge des frais de tierce-personne à hauteur de 14 482 €, sur la base d’un taux horaire de 13 €, alors que M. F… sollicite la somme de 22 927 euros sur la base d’un taux horaire de 20,20 € ; que l’indemnité au titre de la tierce-personne est allouée au titre de la réduction d’autonomie de la victime entre l’accident et la date de consolidation, et ne saurait être réduite en cas d’assistance bénévole par un proche, sauf à déduire le coût des charges sociales ; que, sur les besoins en tierce-personne, l’expert indique : – pendant la période de DFTP à 75 %, 3 heures 7 jours/7 pour l’aide aux actes de la vie courante et les activités ménagères, à savoir, du 26/09/2011 au 23/11/2011, du 11/12/2011 au 18/12/2011 ; – pendant la période de DFTP à 50 %, 2 heures de tierce-personne, du 21/12/2011 au 27/05/2012, du 31/05/2012 au 05/11/2012 et du 9/11/2012 au 25/03/2013 ; – M. F… a été hospitalisé du 2/05/2011 au 24/09/2011, du 24/11/2011 au 10/12/2011, du 19/12/2011 au 20/12/2011 et du 6/11/2012 au 25/03/2013 ; qu’en réponse aux dires (page 31 du rapport), le docteur A… indique que durant la fin de son hospitalisation allant du début du mois de juillet 2011 au 24 septembre 2011, le patient a bénéficié de week-ends thérapeutiques pendant lesquels son épouse était à ses côtés ; qu’il n’a pu en déterminer la fréquence de telle manière qu’il indique que ces sorties thérapeutiques ont été intégrées dans le déficit fonctionnel temporaire total ; que dans la mesure cependant où le poste de déficit fonctionnel temporaire n’a pas vocation à couvrir les mêmes préjudices que l’assistance par une tierce-personne, il n’y a pas lieu d’exclure, comme le demandent la SA MAAF Assurances et M. O… les weekends au cours desquels la victime est rentrée à son domicile et a bénéficié de l’aide effective de son épouse ; que compte-tenu du fait qu’à cette période l’autonomie de M. F… était identique à la période du 25 septembre 2011 au 23 novembre 2011 (à savoir déplacement à l’aide d’un déambulateur avec cannes anglaises ou fauteuil roulant), il doit être retenu une aide de 3 heures par jour 7 jours/7 ; que compte tenu de la déduction des charges sociales, il y a lieu de fixer le taux horaire à 16 € ; qu’ainsi le préjudice de tierce-personne de M. F… se calcule comme suit : 11 week-ends, soit 22 jours, 3 h/jours : 22 j × 3h × 16 € = 1 056 € ; DFTP à 75 % 53 j × 3 h × 16 € = 2 544 euros ; – DFTP à 50 % : 455 j × 2 h × 16 € = 14 560 €, soit un total de 18 160 €, au titre de la tierce-personne provisoire ;

ALORS QUE le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance familiale ni subordonné à la justification de dépenses effectives ; qu’en jugeant, pour fixer à 16 euros le coût horaire de la tierce personne temporaire servant de base à l’indemnisation de M. F…, qu’il convenait de déduire les charges sociales afin de tenir compte de ce qu’il avait bénéficié d’une assistance familiale (arrêt, p. 7, in fine et p. 8, § 4), la cour d’appel a violé l’article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ».

SUR LE DEUXIEME MOYEN DE CASSATION, ainsi libellé :

« Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR confirmé le jugement en ce qu’il avait fixé à 5 000 euros l’indemnisation de l’incidence professionnelle de M. F… et rejeté l’indemnisation de ses pertes de gains professionnels futurs et d’AVOIR limité à la somme totale de 273 370,17 euros la condamnation in solidum prononcée à l’égard de M. O… et la société Maaf Assurances ;

AUX MOTIFS PROPRES QU’il ressort de l’expertise que l’activité de gestion de cuisine que M. F… a indiqué exercer n’est plus envisageable compte tenu de son déficit fonctionnel permanent ; que bien que retraité, M. F… demeurait actif et il justifie avoir occupé un poste de chef de cuisine du mois de décembre 2010 au mois de février 2011 pour un salaire moyen brut de 1 793,41 € ; qu’il établit également sa qualité de cuisinier autoentrepreneur à la date de l’accident et justifie d’une facture d’un montant de 160 € établie le 30 décembre 2010 ; que pour autant, compte tenu du fait que son contrat à durée déterminée était arrivé à son tenue à la date de l’accident et qu’il n’est pas justifié de la pérennité de son activité d’auto-entrepreneur sauf par la production d’une seule facture et d’une sollicitation par courriel, il ne sera pas fait droit à la demande de M. F… au titre de la perte de gains futurs qui ne constitue pas un préjudice certain ; qu’en revanche, il ressort des éléments du dossier que l’accident a généré une dévalorisation professionnelle caractérisée par l’impossibilité pour M. F… de continuer à exercer son activité professionnelle accessoire, laquelle constituait pour lui un complément de retraite ; qu’eu égard à l’âge de la victime à la date de l’accident (61 ans), la somme de 5 000 € octroyée par le premier juge en réparation de ce poste de préjudice sera maintenue ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QU’il ressort de l’expertise que l’activité de gestion de cuisine que M. F… a indiqué exercer n’est plus envisageable compte tenu du déficit fonctionnel permanent ; qu’il est établi que, bien que retraité, M. F… demeurait actif ; qu’en effet, il justifie avoir occupé un poste de chef de cuisine du mois de décembre 2010 au mois de février 2011 pour un salaire moyen brut de 1 793,41 euros ; qu’il établit également sa qualité de cuisinier auto-entrepreneur à la date de l’accident et justifie d’une facture d’un montant de 160 euros établie le 30 décembre 2010 ; que pour autant, compte tenu du fait que son contrat à durée déterminée était arrivé à son terme à la date de l’accident et qu’il n’est pas 2 justifié de la pérennité de son activité d’auto-entrepreneur par une seule facture et une sollicitation par mail, il ne sera pas fait droit à la demande de M. F… au titre de la perte de gains futurs qui ne constitue pas un préjudice certain ; qu’en revanche, il en ressort une perte de chance pour ce dernier de continuer à exercer une activité professionnelle qui constituait pour lui un complément de retraite ; que compte tenu de son âge à la date de l’accident (61 ans), il convient de lui allouer la somme de 5 000 euros en réparation de ce poste de préjudice ;

ALORS QUE la victime d’un dommage corporel qui ne perçoit pas de revenus réguliers à la date de l’accident subit néanmoins une perte de chance de pouvoir ultérieurement tirer des revenus de son activité professionnelle, qu’il appartient au juge d’évaluer avec précision ; qu’en se bornant à allouer à M. F… la somme de 5 000 euros au titre de l’incidence professionnelle subie à raison de l’accident survenu le 2 mai 2011, quand il résultait de ses propres constatations que « l’activité de gestion de cuisine que M. F… a indiqué exercer n’est plus envisageable compte tenu de son déficit fonctionnel permanent », que, « bien que retraité, [celui-ci] demeurait actif et il justifie avoir occupé un poste de chef de cuisine du mois de décembre 2010 au mois de février 2011 pour un salaire moyen brut de 1 793,41 € », qu’« il établit également sa qualité de cuisinier autoentrepreneur à la date de l’accident et justifie d’une facture d’un montant de 160 € établie le 30 décembre 2010 » et que « l’accident a généré une dévalorisation professionnelle caractérisée par l’impossibilité pour M. F… de continuer à exercer son activité professionnelle accessoire, laquelle constituait pour lui un complément de retraite » (arrêt, p. 11, in fine et p. 12, in limine) la cour d’appel, qui n’a pas recherché à quels revenus M. F… aurait pu prétendre, ni pendant combien de temps, ni, le cas échéant, affecté à ce résultat un coefficient de perte de chance, a statué par des motifs impropres à établir que le montant alloué constituait la réparation d’une perte de chance et que cette réparation était mesurée à la probabilité de la chance perdue par M. F… de continuer à percevoir des revenus, privant sa décision de base légale au regard de l’article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ».

SUR LE TROISIEME MOYEN DE CASSATION, ainsi libellé :

« Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR confirmé le jugement en ce qu’il avait rejeté l’indemnisation du préjudice d’agrément de M. F… et d’AVOIR limité à la somme totale de 273 370,17 euros la condamnation in solidum prononcée à l’égard de M. O… et la société Maaf Assurances ;

AUX MOTIFS PROPRES QU’il s’agit de la perte d’activités de loisirs, sportives et culturelles (autres que professionnelles) ; que l’âge de la victime doit être pris en considération ; que le préjudice d’agrément vise exclusivement à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ; que M. F… G… demande la somme de 20 000 €, ce à quoi l’intimé s’oppose ; que selon l’expert, les séquelles présentées par le patient diminuent l’agrément de vie ; qu’il n’est pas en capacité de reprendre la via ferrata, le jardinage, les randonnées en montagne, l’escalade, le canyoning, la danse rock. Il peut faire des sorties en bateau ; que le livret photographique produit par M. F… établit que ce dernier était, avant l’accident, une personne active, mais n’établit pas pour autant qu’il s’adonnait à la « pratique régulière d’une activité spécifique » ; que les mêmes considérations s’imposent quant à la pratique du jardinage, outre l’entretien du jardin indemnisé au titre de l’assistance par tierce personne ; que faute pour M. F… de justifier d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de qualité de vie et des conditions d’existence, d’ores et déjà indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent, sa demande sera rejetée ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE le préjudice d’agrément vise exclusivement à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ; que M. F… G… demande la somme de 20 000 euros, ce à quoi les défendeurs s’opposent ; que selon l’expert, les séquelles présentées par le patient diminuent l’agrément de vie ; qu’il n’est pas en capacité de reprendre la via ferrata, le jardinage, les randonnées en montagne, l’escalade, le canyoning, la danse rock ; qu’il peut faire des sorties bateau ; que le livret photographique produit par M. F… établi que ce dernier était, avant l’accident, une personne très active, mais pas pour autant qu’il s’adonnait à la pratique régulière d’une activité spécifique ; que faute pour ce dernier de justifier d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de qualité de vie et des conditions d’existence, d’ores et déjà indemnisé au titre du déficit fonctionnel permanent, sa demande sera rejetée ;

1°) ALORS QUE le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ; qu’en déboutant M. F… de sa demande de ce chef quand il résultait de ses propres constatations, fondées sur le rapport d’expertise judiciaire, que celui-ci, qui établissait par la production de multiplies photographies être « une personne active », n’était « pas en capacité de reprendre la via ferrata, le jardinage, les randonnées en montagne, l’escalade, le canyoning, la danse rock » (arrêt, p. 13, § 5 et 6), la cour d’appel a violé l’article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

2°) ALORS QUE le préjudice d’agrément est constitué par l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs ; qu’en déboutant M. F… de sa demande tendant à la réparation d’un préjudice d’agrément caractérisé par l’impossibilité dans laquelle il se trouvait, depuis l’accident, de pratiquer le jardinage, au motif inopérant qu’il était par ailleurs d’ores et déjà indemnisé au titre de la nécessité de recourir, pour l’entretien de sa propriété, à une tierce personne (arrêt, p. 13, § 7), la cour d’appel a violé l’article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ».

https://www.christian-finalteri-avocat.fr/