SECRET MEDICAL : VIOLATION LORSQUE LE MEDECIN DE L’ASSUREUR COMMUNIQUE SON RAPPORT SANS L’ACCORD DE LA VICTIME

Erreur médicale

SECRET MEDICAL : VIOLATION LORSQUE LE MEDECIN DE L’ASSUREUR COMMUNIQUE SON RAPPORT SANS L’ACCORD DE LA VICTIME

Cass, Crim, 16 mars 2021, n°20-80.125

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. F…, assuré auprès de la société Macif assurances, a été victime le 7 octobre 2014 d’un accident de la circulation impliquant un poids-lourd assuré, auprès de la société Axa assurance.

3. Il a fait l’objet d’une expertise médicale amiable réalisée par M. U…, médecin expert mandaté par la société Macif assurances, dont le rapport a été communiqué à celle-ci ainsi qu’à l’intéressé, puis transmis à la société Axa assurance.

4. Ne souhaitant pas poursuivre la procédure amiable, M. F… a assigné la société Axa assurance devant le juge des référés du tribunal de Grenoble qui, le 29 juin 2016, a ordonné une expertise, confiée à M. P….

5. Les parties ont été convoquées aux opérations d’expertise, le 15 novembre 2016. Mme O… y assistait en qualité de médecin-conseil de la société Axa assurance. Au cours de la réunion, Mme O… a remis à l’expert judiciaire, le rapport de M. U…, remise à laquelle M. F… s’est opposé.

6. Le 22 décembre 2017, M. F… a fait citer directement Mme O… devant le tribunal correctionnel de Grenoble, du chef de violation du secret professionnel.

7. Les juges du premier degré ont déclaré Mme O… coupable de ce délit, l’ont condamnée à 1 000 euros d’amende avec sursis et ont prononcé sur les intérêts civils.

8. Mme O… a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen est pris de la violation des articles 226-13 du code pénal, 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, L. 1110-4 et R. 4127-4 du code de la santé publique et 1382, devenu 1240 du code civil.

10. Il critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a, après avoir relaxé Mme O…, débouté M. F… de ses demandes d’indemnisation, alors :

« 1/ qu’en jugeant, pour relaxer Mme O…, médecin et ainsi exclure toute faute civile entrant dans la prévention, qu’il n’était pas établi que celle-ci ait eu connaissance « des mentions figurant dans la motivation de l’ordonnance de référé ayant désigné l’expert judiciaire, selon lesquelles devaient être écartées des débats toutes pièces médicales détenues par un tiers et notamment la compagnie d’assurance Axa, sans l’accord exprès de M. F… », cependant qu’en sa qualité de médecin, professionnel de santé, elle était, indépendamment de cette ordonnance et en toute hypothèse, légalement tenue au secret professionnel, lui interdisant formellement de communiquer à des tiers toute pièce médicale parvenue en sa possession dans l’exercice de sa profession, en ce compris un rapport d’expertise amiable, ce qu’elle ne pouvait ignorer ;

2/ que la communication à un tiers d’une pièce médicale couverte par le secret est par principe interdite, sauf accord exprès et préalable de la personne concernée ; qu’en jugeant, pour relaxer Mme O… et ainsi exclure toute faute civile entrant dans la prévention, que le moment exact où s’étaient manifestées les oppositions de M. F… et de son conseil à la communication à l’expert judiciaire du rapport d’expertise antérieurement établi par M. U…, médecin, n’était pas connu, sans constater que Mme O…, médecin, avait préalablement sollicité l’accord exprès de M. F…, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 226-13 du code pénal :

11. Ce texte incrimine la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire.

12. Pour infirmer le jugement, relaxer la prévenue du chef de violation du secret professionnel et débouter la partie civile de ses demandes, l’arrêt attaqué énonce qu’il est constant que Mme O…, médecin, était en possession, lors de la réunion d’expertise judiciaire, du rapport médical établi par M. U…, médecin, à la demande de la société Macif assurances et que la possession de ce document, qui lui avait été remis par son mandant, la société Axa assurance, ne présentait aucun caractère illicite dans la mesure où Mme O… intervenait en sa qualité de médecin-conseil de cette société.

13. Les juges ajoutent que l’expert judiciaire, M. P…, avait pour mission de procéder à l’expertise médicale de M. F… et notamment, « de se faire communiquer par le demandeur ou son représentant légal ou par un tiers avec l’accord de l’intéressé ou de ses ayants droits, tous documents utiles à sa mission ».

14. Ils relèvent, également, d’une part, que Mme O… a affirmé à l’audience avoir, sur la sollicitation de l’expert judiciaire, communiqué ce document, puis en avoir repris possession après l’opposition de M. F…, sans que l’expert ne l’utilise, et, d’autre part, que l’expert, M. P…, a précisé, dans un courrier, qu’au cours de la réunion d’expertise, Mme O… lui avait proposé ce rapport et que, compte tenu de l’opposition de M. F… et de son conseil à cette communication, il n’en avait pas tenu compte et ne l’avait mentionné à aucun moment dans l’expertise.

15. Les juges en concluent qu’il ne ressort pas de ces éléments que Mme O…, qui n’était pas partie à l’instance en référé, avait connaissance de l’intégralité de la mission confiée à l’expert judiciaire et notamment des mentions selon lesquelles devaient être écartées des débats toutes pièces médicales détenues par un tiers, sans l’accord exprès de M. F… ; que, compte tenu de cette incertitude, elle a pu valablement et sans que son comportement soit critiquable, remettre à l’expert le rapport litigieux et que la preuve d’une violation du secret professionnel n’est pas rapportée.

16. En se déterminant ainsi, alors qu’elle avait relevé que Mme O… avait remis volontairement à l’expert judiciaire un document médical, couvert par le secret, concernant M. F…, document qu’elle détenait en sa qualité de médecin-conseil de la société Axa assurance, sans avoir obtenu l’autorisation préalable de l’intéressé, faits susceptibles d’ouvrir droit à la réparation des préjudices de la partie civile, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

17. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

18. La relaxe étant définitive, la cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à M. F…. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Grenoble, en date du 5 novembre 2019, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Chambéry, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil, et à laquelle il appartiendra de prononcer, à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite, sur l’existence d’une éventuelle faute civile de nature à justifier la réparation des préjudices invoqués ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Grenoble, chambre correctionnelle, et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé.