PERTE DE REVENU DES PROCHES DE LA VICTIME

Rétention administrative et prorogation

PERTE DE REVENU DES PROCHES DE LA VICTIME

Perte de revenu des proches de la victime

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois des M. et Mme E… et le pourvoi du centre hospitalier (CH) Louis-Constant Fleming de Saint-Martin et de la société hospitalière des assurances mutuelles (SHAM) présentent à juger la même affaire. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme E… a accouché, le 15 février 2003, au CH Louis-Constant Fleming du jeune A…, qui est atteint d’un handicap caractérisé par une tétraparésie spastique avec absence de langage et troubles de l’attention. Par un jugement du 30 décembre 2015, le tribunal administratif de Saint-Martin, saisi par Mme E… et son époux, agissant en leur nom et en qualité de représentants légaux de leur fils, a condamné le CH Louis-Constant Fleming à verser à A… une indemnité de 389 478, 27 euros ainsi qu’une rente trimestrielle de 8 147, 20 euros, à M. et Mme E…, une somme de 3 433,60 euros, à Mme E…, une somme de 36 000 euros et à M. E… une somme de 40 000 euros. Par un arrêt du 24 juillet 2018, rectifié par un arrêt du 18 février 2019, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, sur appel des M. et Mme E…, condamné le centre hospitalier à leur verser en leur qualité de représentants légaux de A… la somme de 135 807,36 euros au titre des dépenses de santé, frais divers, frais de déplacement, frais de véhicule et logement adapté et préjudice scolaire ainsi que la somme de 88 000 euros au titre des préjudices personnels subis par celui-ci, une somme de 40 000 euros au titre du préjudice propre de Mme E… et, avant dire droit sur les autres conclusions de leur requête, a ordonné à M. et Mme E… de faire connaître le montant des aides perçues pour compenser les frais d’assistance par tierce personne depuis la naissance de A…, notamment le montant des sommes versées au titre du complément de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé. La cour a, en outre, condamné l’établissement de santé, au titre des frais liés au handicap, à verser aux requérants une rente trimestrielle d’un montant quotidien de 80 euros, sous déduction le cas échéant de la prestation de compensation du handicap versée pour cette même période ou du complément d’allocation d’éducation enfant handicapé. Par un arrêt du 31 décembre 2018, la cour a condamné l’établissement à verser à M. et Mme E… en qualité de représentants légaux de leur fils A… la somme de 883 245 euros en réparation du préjudice d’assistance par une tierce personne ainsi qu’une rente trimestrielle au titre des frais liés au handicap d’un montant représentatif de la prise en charge à domicile de A…, déterminé sur la base d’un taux quotidien fixé à 215 euros. M. et Mme E… demandent au Conseil d’Etat d’annuler ces deux arrêts en tant qu’ils rejettent le surplus de leurs conclusions. Le CH Louis-Constant Fleming et son assureur, la SHAM, demandent au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 31 décembre 2018.

Sur la régularité des arrêts attaqués :

3. M. et Mme E… devant être regardés, compte tenu de leurs écritures d’appel, comme ayant dirigé leurs conclusions indemnitaires contre le seul CH Louis-Constant Fleming, ils ne sont pas fondés à soutenir que la cour aurait entaché son arrêt d’irrégularité en ne condamnant pas la SHAM solidairement avec cet établissement.

Sur le taux de perte de chance :

4. En retenant, au vu des rapports d’expertise produits au dossier, que si le fait pour la sage-femme, lors de l’accouchement de Mme E…, de ne pas avoir appelé l’obstétricien de garde, en dépit d’anomalies constatées dans le rythme cardiaque foetal puis de la durée excessive des efforts expulsifs, était constitutif d’une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier, cette faute n’était à l’origine que d’une perte de chance, évaluée à 80 %, de prévenir les séquelles dont le jeune A… reste atteint, la cour n’a ni commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.

Sur le préjudice de A… E… :

En ce qui concerne les dépenses de santé :

S’agissant des frais d’achat de chaussures orthopédiques :

5. Pour rejeter toute indemnisation de A… E… au titre des dépenses échues et à échoir pour l’achat de chaussures orthopédiques, la cour, qui n’a pas remis en cause la nécessité pour l’enfant d’un tel équipement, s’est fondée sur le seul motif que  » la réalité et l’ampleur  » de ces frais n’étaient pas établies. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de fixer le montant du préjudice indemnisable au vu des éléments qui lui étaient soumis ou, le cas échéant, de diligenter une mesure supplémentaire d’instruction, et qu’elle avait elle-même, au demeurant, relevé que les requérants avaient produit deux factures justifiant d’une telle acquisition, la cour a commis une erreur de droit.

S’agissant des besoins de l’enfant en soutien psychologique :

6. En estimant que le besoin du jeune A… en soutien psychologique n’était pas établi pour la période comprise entre la date de lecture de son arrêt et le dix-huitième anniversaire de l’intéressé alors que la nécessité d’un tel accompagnement de l’enfant jusqu’à sa majorité ressortait, de façon suffisamment prévisible, tant des rapports d’expertise que du rapport d’évaluation sociale établi par la maison départementale des personnes handicapées en 2017, la cour a dénaturé les pièces du dossier.

S’agissant des soins de  » biofeedback » et de  » myoténotomie  » :

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme E… ont demandé le remboursement de séances de  » biofeedback  » suivies par le jeune A… à Paris en août 2015 ainsi que des frais de déplacement, en octobre 2015, du médecin espagnol en charge du suivi des interventions de  » myoténotomie  » également suivies par l’enfant. La cour ne s’est pas prononcée sur ces chefs de préjudice. Par suite, les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a omis de statuer sur ces conclusions.

8. En revanche, en estimant qu’il n’était pas établi que l’état de santé de A… nécessitait encore de tels soins, la cour a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine, exempte de dénaturation.

S’agissant des frais exposés pour l’acquisition d’un fauteuil de balançoire :

9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme E… ont demandé le remboursement des frais exposés pour l’acquisition d’un fauteuil de balançoire spécialement adapté au handicap de leur enfant. La cour ne s’est pas prononcée sur ce chef de préjudice. Par suite, les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a omis de statuer sur ces conclusions.

En ce qui concerne les frais de déplacement :

10. Après avoir constaté que A… E…, qui réside en Gironde avec ses parents, avait dû suivre, compte tenu de son état de santé, des séances de  » biofeedback  » à Miami en août 2008, plusieurs séances de  » myoténofasciotomie  » à Barcelone entre 2008 et 2016 et que ses parents avaient en outre dû le conduire à diverses consultations médicales et séances de soins dans l’agglomération bordelaise, la cour a cependant rejeté, faute de justificatifs suffisants, la demande de M. et Mme E… tendant au remboursement des frais de déplacement occasionnés par ces séances. En excluant ainsi toute indemnisation à ce titre, alors qu’il ressortait de ses propres constatations que l’existence du préjudice des demandeurs présentait un caractère certain, la cour a commis une erreur de droit.

En ce qui concerne les frais d’assistance par tierce personne :

11. Après avoir évalué, dans les motifs de son arrêt du 24 juillet 2018, le besoin d’assistance par tierce personne de A… à deux heures par jour de l’âge de six mois à son troisième anniversaire, quatre heures par jour jusqu’à son sixième anniversaire et, depuis cette date, à six heures par jour pendant les périodes d’ouverture de l’institut d’éducation motrice (IEM), estimées à 221 jours par an, et à dix heures par jour pendant les périodes de fermeture de l’établissement, la cour a, à l’article 2 du dispositif de son arrêt, demandé avant-dire droit à M. et Mme E… de faire connaître le montant des aides perçues pour compenser les frais d’assistance par tierce personne depuis la naissance de A… et a, à l’article 6, condamné le centre hospitalier à verser, à compter de la date de son arrêt et par trimestre échu, une rente au titre des frais liés au handicap due au prorata du nombre de nuits passées au domicile familial au cours du trimestre d’un montant quotidien fixé à la date de son arrêt à 80 euros et revalorisé par la suite par application des coefficients prévus à l’article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, sous déduction le cas échéant de la prestation de compensation du handicap versée pour cette même période ou du complément d’allocation d’éducation enfant handicapé. Dans son arrêt du 31 décembre 2018, rendu à la suite de cette mesure d’instruction, la cour, après avoir estimé que le besoin d’assistance par tierce personne de l’enfant était de 24 heures sur 24 et que le nombre annuel de jours de scolarisation à l’IEM était de 144, a condamné le centre hospitalier à verser une somme de 883 245 euros au titre du préjudice relatif aux frais d’assistance par tierce personne portant sur la période antérieure à la lecture de l’arrêt ainsi qu’une rente calculée sur la base d’un taux quotidien de 215 euros par jour à compter de la rentrée scolaire 2018.

S’agissant des frais d’assistance par tierce personne antérieurs au 24 juillet 2018 :

12. En premier lieu, la cour ayant, ainsi qu’il a été dit au point précédent, sursis à statuer, à l’article 2 de son arrêt du 24 juillet 2018 sur l’évaluation des dépenses d’assistance par tierce personne antérieures à la date de lecture de cet arrêt, elle n’était pas dessaisie de cette partie du litige et n’a donc pas commis d’erreur de droit en retenant sur ce point, dans son arrêt définitif du 31 décembre 2018, des modalités de calcul différentes de celles mentionnées dans les motifs de son arrêt avant-dire droit dès lors que ces motifs n’étaient pas le soutien nécessaire du dispositif d’avant-dire droit ni d’un autre article du dispositif de l’arrêt du 24 juillet 2018.

13. En deuxième lieu, en évaluant, dans son arrêt du 31 décembre 2018, le besoin d’assistance pour tierce personne de A… à 24 heures sur 24, compte tenu de la gravité du handicap de l’intéressé, qui nécessitait une surveillance constante, la cour, qui s’est notamment référée à l’expertise d’un neuropédiatre produite par M. et Mme E… postérieurement à son arrêt du 24 juillet 2018, a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

14. En troisième lieu, en évaluant, dans son arrêt du 31 décembre 2018, à 13 euros le coût horaire de l’assistance par tierce personne pour la période comprise entre la naissance de l’enfant et le 1er septembre 2018, la cour a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

15. Par suite, M. et Mme E… ne sont pas fondés à demander l’annulation de l’article 1er de l’arrêt du 31 décembre 2018, par lequel la cour s’est prononcée sur le préjudice d’assistance par tierce personne pour la période comprise entre la naissance de l’enfant et le 1er septembre 2018.

S’agissant de la rente trimestrielle au titre de l’assistance par une tierce personne pour la période à venir :

16. D’une part, ainsi que le font valoir le CH Louis-Constant Fleming de Saint-Martin et la SHAM, les motifs de l’arrêt du 24 juillet 2018 portant sur la durée annuelle du besoin en tierce personne de A… constituent le soutien nécessaire de l’article 6 de cet arrêt, qui a fixé jusqu’à la majorité de l’enfant le montant de la rente trimestrielle due par le centre hospitalier au titre de l’assistance par tierce personne, sous la seule réserve de la déduction des prestations éventuellement perçues par M. et Mme E… à ce titre en vue de laquelle la mesure d’instruction était prescrite. La cour, qui était ainsi dessaisie de la partie du litige sur laquelle elle s’était déjà prononcée, ne pouvait, dès lors, en tout état de cause, sans méconnaître l’autorité de chose jugée retenir, dans son arrêt définitif du 31 décembre 2018, des modalités d’évaluation de la durée annuelle du besoin en tierce personne de A… différentes de celles définies dans son arrêt du 24 juillet 2018, pour la période comprise entre la date de lecture de cet arrêt et le dix-huitième anniversaire de l’intéressé. D’autre part, ainsi que M. et Mme E… le font par ailleurs valoir, à titre subsidiaire dans l’hypothèse où le moyen de la SHAM qui vient d’être analysé serait accueilli, en évaluant, dans l’arrêt du 24 juillet 2018, à 221 jours par an les périodes de scolarisation de A… à l’IEM alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que cette durée, sur laquelle elle s’est fondée pour évaluer le besoin d’assistance en tierce personne de l’enfant et pour en déduire le montant quotidien de la rente trimestrielle due par le centre hospitalier jusqu’à la majorité de l’intéressé, était en fait de 144 jours, la cour a dénaturé les pièces du dossier.

17. Il résulte de ce qui précède, d’une part, que le CH Louis-Constant Fleming de Saint-Martin et la SHAM sont fondés à demander l’annulation de l’article 2 de l’arrêt du 31 décembre 2018 en tant qu’il statue sur la rente trimestrielle due par le centre hospitalier au titre de l’assistance par une tierce personne et, d’autre part, que M. et Mme E… sont fondés à demander l’annulation de l’article 6 de l’arrêt du 24 juillet 2018.

Sur le préjudice de M. et Mme E… :

En ce qui concerne les frais de déplacement :

18. En rejetant la demande de M. et Mme E… tendant au remboursement des frais de déplacement occasionnés pour accompagner leur fils à Miami en août 2008, afin que celui-ci bénéficie de soins de  » neurofeedback  » au seul motif que la facture du billet d’avion n’était pas produite, alors qu’elle avait pourtant constaté la nécessité de ces soins, la cour a commis une erreur de droit.

En ce qui concerne les pertes de revenus professionnels :

S’agissant du préjudice économique de Mme E… :

19. En estimant que Mme E… ne justifiait pas avoir subi, du fait du handicap de son fils, une perte de gains professionnels, alors même qu’elle avait dû démissionner, en octobre 2003, des fonctions de gérante d’une société qu’elle avait créée en 2001, la cour a porté, sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

S’agissant du préjudice économique de M. E… :

20. En estimant que les pertes de revenus professionnels subies par M. E… à compter du déménagement de sa famille en métropole en 2006 étaient sans lien avec le handicap de son enfant, alors qu’il résultait de ses propres constatations que, d’une part, le déménagement de M. et Mme E… avait été motivé par leur souci d’assurer à leur enfant une meilleure prise en charge compte tenu de la gravité du handicap dont il était atteint, et que, d’autre part, M. E… n’avait pu retrouver en métropole le niveau de revenus qu’il percevait, avant sa démission en 2007, en tant qu’assistant technique conseiller à la chambre du commerce et de l’industrie de Guadeloupe, la cour a dénaturé les pièces du dossier.

En ce qui concerne les préjudices personnels :

21. En condamnant le centre hospitalier Louis-Constant Fleming à verser à M. et Mme E… une somme de 40 000 euros chacun au titre de leur préjudice d’affection et de leur préjudice d’accompagnement, la cour, qui n’a pas fait mention, pour ces chefs de préjudice, du versement d’une somme provisionnelle au titre de la période comprise entre la naissance de l’enfant et sa majorité, a entendu évaluer ces préjudices à la date de lecture de son arrêt. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt sur ce point.

Sur la portée des cassations prononcées :

22. Il résulte de tout ce qui précède que l’arrêt du 24 juillet 2018 doit être annulé en tant qu’il statue sur les frais échus et à échoir pour l’achat de chaussures orthopédiques, la prise en charge des besoins futurs de A… en soutien psychologique jusqu’à son dix-huitième anniversaire, le remboursement des séances de  » biofeedback  » suivies en août 2015 et des frais de déplacement, en octobre 2015, du médecin espagnol en charge du suivi des interventions de myoténotomie, les frais exposés pour l’acquisition d’un fauteuil de balançoire, le surplus des demandes de A… et de ses parents au titre des frais de déplacement pour se rendre à des séances de soins et de suivi médical, les pertes de gains professionnels de M. E… et la rente trimestrielle au titre de l’assistance par tierce personne

23. Il résulte de ce qui a été dit au point 17 que l’arrêt du 31 décembre 2018 doit être annulé en tant qu’il se prononce, à son article 2, sur la rente trimestrielle due par le centre hospitalier au titre de l’assistance par tierce personne.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

24. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du CH Louis-Constant Fleming de Saint-Martin une somme de 2 500 euros chacun à verser à M. et Mme E… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : L’arrêt du 24 juillet 2018 est annulé en tant qu’il statue sur les frais échus et à échoir pour l’achat de chaussures orthopédiques, la prise en charge des besoins futurs de A… en soutien psychologique jusqu’à son dix-huitième anniversaire, le remboursement des séances de « biofeedback » suivies en août 2015 et des frais de déplacement, en octobre 2015, du médecin espagnol en charge du suivi des interventions de myoténotomie, les frais exposés pour l’acquisition d’un fauteuil de balançoire, le surplus des demandes de A… et de ses parents au titre des frais de déplacement pour se rendre à des séances de soins et de suivi médical, les pertes de gains professionnels de M. E… et la rente trimestrielle au titre de l’assistance pour tierce personne.

Article 2 : L’arrêt du 31 décembre 2018 est annulé en tant qu’il statue, à son article 2, sur la rente trimestrielle due par le centre hospitalier au titre de l’assistance par tierce personne.

Article 3 : L’affaire est renvoyée à la cour administrative d’appel de Bordeaux dans la limite des cassations prononcées.

Article 4 : Le centre hospitalier Louis-Constant Fleming de Saint-Martin versera à M. et Mme E… une somme de 2 500 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

CE, 5ème ch., 16 février 2021, n°428513