PERTE DE RETRAITE : ELLE DOIT ETRE INDEMNISEE AU TITRE DES PERTES DE GAINS PROFESSIONNELS FUTURS OU DE L’INCIDENCE PROFESSIONNELLE

RESPONSABILITE MEDICALE POUR FAUTE

PERTE DE RETRAITE : ELLE DOIT ETRE INDEMNISEE AU TITRE DES PERTES DE GAINS PROFESSIONNELS FUTURS OU DE L’INCIDENCE PROFESSIONNELLE

Cass, Civ 1, 7 octobre 2020, n°19-18.086

La Cour de cassation a retenu en ce sens :

« (…) Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 9 mai 2019), après avoir subi, le 22 octobre 2011, une intervention chirurgicale sur un genou, M. O… a présenté de graves complications.

2. A la suite d’une saisine de la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, d’un avis de celle-ci, retenant qu’il avait été victime d’un accident médical grave non fautif indemnisable au titre de la solidarité nationale, et d’un refus de l’offre d’indemnisation amiable adressée par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM), M. O… a assigné celui-ci en indemnisation.

3. L’indemnisation des préjudices éprouvés par M. O… consécutivement à la survenue des complications a été mise à la charge de l’ONIAM sur le fondement de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen, ci-après annexés

4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur la seconde branche du premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. O… fait grief à l’arrêt de limiter le montant de l’indemnité allouée en réparation de ses pertes de gains professionnels futurs, alors « qu’en adoptant un euro de rente temporaire et en refusant ainsi à M. O… la réparation de ses pertes de droits à la retraite, qui n’ont pas été réparés au titre de l’incidence professionnelle quand elle constatait qu’il ne pouvait plus occuper qu’un poste administratif à mi-temps, ce dont il résultait forcément une perte de droits à la retraite, la cour d’appel n’a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 1142-1, Il, du code de la santé publique et le principe d’une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

6. Pour déterminer le montant de l’indemnisation allouée au titre de la perte de gains professionnels futurs, l’arrêt constate que M. O…, chef d’équipe dans une entreprise de transport lors de l’accident, s’est trouvé ensuite dans l’impossibilité de poursuivre cette activité et qu’âgé de 51 ans, il occupe désormais un poste administratif à mi-temps. Il fixe à 65 ans l’âge de son départ en retraite et capitalise la perte subie sur la base d’un euro de rente temporaire jusqu’à cet âge.

7. En statuant ainsi, sans indemniser au titre de la perte de gains professionnels futurs ou d’un autre poste la perte des droits à la retraite inhérente à la modification de l’activité de M. O… qu’elle constatait, la cour d’appel a violé les texte et principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne l’ONIAM à payer à M. O… la somme de 17 726,02 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs et la somme de 30 000 euros au titre de l’incidence professionnelle, l’arrêt rendu le 9 mai 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;

Condamne l’Office national des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l’ONIAM et le condamne à payer à M. O… la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept octobre deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour M. O…

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué D’AVOIR condamné l’ONIAM à payer à M. O… la seule somme de 17 726,22 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs ;

AUX MOTIFS QUE « l’ONIAM sollicite l’infirmation du jugement ayant alloué la somme de 178 217,68 euros à ce titre, soutenant l’absence de perte de gains professionnels future ; il fait valoir que le revenu de référence doit être fixé à 16 382 euros correspondant à celui de l’année 2010 et que ce poste se capitalise selon l’euro de rente jusqu’à l’âge prévisible de la retraite, soit 62 ans ; il en déduit que M. O… aurait dû percevoir en l’absence de dommage la somme de 241 592,53 euros ; or, il prétend que M. O… a obtenu des salaires de 12 403,94 euros jusqu’au 31 octobre 2014, que par capitalisation, les revenus à percevoir jusqu’à l’âge de la retraite doivent être fixés à 137 309,45 euros mais qu’en outre, M. O… a bénéficié des organismes tiers-payeurs la somme de 96 682,32 euros ; M. O… sollicite aussi l’infirmation du jugement à ce titre et l’allocation d’une somme totale de 227 190,40 euros ; il soutient qu’afin de tenir compte de la progression constante de ses revenus avant le dommage, un salaire de référence mensuel de 1 500 euros doit être retenu ; il évalue ainsi sa perte de revenus annuelle à 10 000 euros, la capitalisant à partir du 1er janvier 2019 sur la base de l’euro de rente viagère à 50 ans et déduisant les sommes servies par la CPAM et la société Quatrem ; les pertes de gains professionnels futurs correspondent à la perte ou à la diminution des revenus consécutives à l’incapacité permanente à compter de la date de consolidation ; pour déterminer la perte annuelle de revenus, il convient de se référer aux revenus perçus en 2011, année ayant précédé le dommage, soit la somme de 16 554 euros correspondant à 1 379,50 euros par mois ; la seule évolution du montant total des salaires et assimilés figurant sur les avis d’impôt sur les revenus des quatre années antérieures au dommage ne suffit pas, en l’absence de tout autre élément fourni, à justifier du bien-fondé de la progression invoquée par M. O… ; pour la période du 26 octobre 2013 au 31 mai 2014 : la perte est de : – 1 379,5 x 7 mois + 1 379,5 x 6 jours/30 jours – 6 922,17 euros (revenu imposable perçu pendant cette période) – 3 010,23 euros ; depuis le mois de juin 2014, M. O… dispose d’un salaire net imposable de 833,33 euros par mois, soit un différentiel mensuel par rapport à ce qu’il aurait perçu en l’absence de fait dommageable de 546,17 euros ; pour la période du mois de juin 2014 à décembre 2014, la perte est de 3 823,19 euros (546,17 x7) ; pour les quatre années suivantes, soit jusqu’au 31 décembre 2018, la perte annuelle est de 6 554,04 euros (546,17 x 12), soit une perte au titre des quatre années de 26 216.16 euros ; la perte passée est au total de 33 049,58 euros (3 010,23 + 3 823,19 + 26 216,16) ; s’agissant d’une victime qui peut continuer à travailler, qui dispose d’une ancienneté importante au sein de l’entreprise qui l’emploie et dont rien ne démontre qu’elle n’aurait pas déjà acquis des droits à la retraite antérieurement alors qu’elle est âgée de 51 ans, il convient, pour la perte à l’avenir, de tenir compte, non de l’euro de rente viager, mais de l’euro de rente temporaire, en retenant un âge de départ en retraite de 65 ans, soit 6 554,04 euros x 12,760 = 83 629,55 euros ; de ces sommes doivent être déduites – indemnités journalières de la CPAM : 3 088,52 euros ; – pension d’invalidité de la CPAM : 78 585,51 euros ; – indemnités journalières de Quatrem : 342,26 euros ; rente invalidité de Quatrem : 16 936,62 euros ; total = 98 952,91 euros L’ONIAM doit ainsi être condamné à payer à M. O… la somme de 17 726,22 euros (33 049,58 + 83 629,55 – 98 952,91), le jugement étant infirmé en ce sens (
) En l’espèce, avant le fait dommageable, M. O… occupait un emploi de chef d’équipe dans une entreprise de transport ; il résulte du rapport d’expertise judiciaire que le dommage a rendu impossible la poursuite de la tenue de ce poste, M. O… étant seulement apte à un emploi de type administratif à mi-temps » ;

1) ALORS QUE la victime d’un dommage a droit à la réparation intégrale de son préjudice ; qu’en retenant en l’espèce, pour allouer à M. O… la seule somme de 17 726,22 euros au titre de ses pertes de gains professionnels futurs, qu’une réactualisation de salaire n’était pas justifiée quand elle avait constaté une progression de son salaire pour les quatre années ayant précédé son accident (arrêt attaqué, p. 7 et 8), la cour d’appel n’a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice ;

2) ALORS QU’en adoptant un euro de rente temporaire et en refusant ainsi à M. O… la réparation de ses pertes de droits à la retraite, qui n’ont pas été réparés au titre de l’incidence professionnelle quand elle constatait qu’il ne pouvait plus occuper qu’un poste administratif à mi-temps, ce dont il résultait forcément une perte de droits à la retraite, la cour d’appel n’a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué D’AVOIR alloué à M. O… la seule somme de 2 836 € au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

AUX MOTIFS QUE « l’ONIAM sollicite la confirmation du jugement ayant alloué à ce titre la somme de 2 836 euros ; M. O… réclame de ce chef une somme de 4 221,25 euros, sur la base d’une somme de 25 euros par jour incluant la période du 30 octobre 2011 au 20 janvier 2012 ; ce poste de préjudice inclut, pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d’agrément et éventuellement le préjudice sexuel temporaire ; l’expert a retenu un déficit fonctionnel temporaire total du 25 octobre 2011 au 29 octobre 2011 et du 28 janvier 2013 au 1er février 2013 et un déficit fonctionnel temporaire partiel de classe II du 21 janvier 2012 au 25 octobre 2013 ; aucun élément médical ne justifie d’y ajouter la période du 30 octobre 2011 au 20 janvier 2012, l’existence d’un déficit fonctionnel temporaire durant cette période imputable à l’accident médical non fautif n’étant pas prouvée ; la somme journalière de 23 euros par jour de déficit fonctionnel total retenue par le tribunal apparaît une juste indemnisation ; en conséquence, c’est à juste titre que le tribunal a alloué une somme de globale de 3 927,25 euros, dont il a déduit celle versée à titre provisionnel de 1 091,25 euros, soit une somme de 2 836 euros revenant à M. O…, le jugement étant confirmé de ce chef » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « la période de déficit fonctionnel temporaire allant du 30 octobre 2011 au 20 janvier 2012 n’a pas à être retenue puisqu’elle correspond à la période normale de déficit en l’absence de complication et donc d’accident médical fautif. Ne doivent être retenues que les périodes de déficit fonctionnel temporaire total du 25 octobre au 29 octobre 2011 et du 28 janvier au 1er février 2013 soit 10 jours et le déficit fonctionnel temporaire partiel de classe 2 soit 25 % compris entre le 21 janvier 2012 et le 25 octobre 2013 soit 643 jours. Il sera par conséquent alloué sur la base d’une indemnité fixée à 23 € par jour les sommes suivantes : 230 € pour les 10 jours 23 € x 643 jours x 25 % soit 3 697,25 € pour les 643 jours soit un montant total de 3 927,25 € dont il convient de déduire la somme de 1 091,25 € déjà allouée par l’ONIAM de sorte qu’il sera alloué à M. O… la somme de 2 836 € » ;

ALORS QUE la victime d’un dommage a droit à la réparation intégrale de son préjudice ; qu’en l’espèce, M. O… avait fait valoir que son poste de déficit fonctionnel temporaire devait être indemnisé à hauteur de 4 221,25 euros que le docteur D… avait oublié de retenir un déficit fonctionnel temporaire sur la période du 30 octobre 2011 au 20 janvier 2012, ce qui était incohérent puisqu’il avait conclu à la nécessité d’une tierce personne, de sorte qu’au regard de cette erreur, un déficit fonctionnel temporaire de 50 % devait être retenu sur cette période, soit sur 83 jours (conclusions, p. 14 et 15) ; qu’en omettant de rechercher, comme cela lui était demandé, si l’exclusion par M. D… de la période du 30 octobre 2011 au 20 janvier 2012 ne procédait pas d’un simple oubli, le praticien reconnaissant par ailleurs la nécessité d’une tierce personne, la cour d’appel a entaché sa décision d’un défaut de base légale au regard de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime (…) ».

https://www.christian-finalteri-avocat.fr/cabinet-avocat-competences/dommage-corporel/