INSTRUCTION : PUNITION DU RECEL DU SECRET

Mandat d'arrêt et détention provisoire

INSTRUCTION : PUNITION DU RECEL DU SECRET

CEDH, 17 déc. 2020, n° 61470/15, Sellami c/ France

Le commissaire responsable du service chargé de l’enquête, dans une affaire de viols et tentatives d’homicides, adressa un courrier électronique à ses principaux collaborateurs pour les informer qu’il avait reçu un appel téléphonique du requérant et que ce dernier ne pouvait être destinataire d’aucune information.

Quelques jours plus tard, l’existence du portrait-robot fut révélée par un magazine et le lendemain, un quotidien consacra une page entière à cette information en publiant, dans sa rubrique « Faits divers », trois articles rédigés par le requérant, l’un d’eux incluant le portrait-robot. Le 13 janvier 2012, à la suite de cette publication et dès lors que le portrait-robot ne correspondait pas au suspect qui avait été ultérieurement identifié par photographies, le juge d’instruction et la direction de la police judiciaire décidèrent de diffuser un appel à témoins en rendant publique une photographie de l’individu recherché. Déclaré coupable de violation du secret de l’instruction, le requérant soutient que sa condamnation est contraire à l’article 10 de la Convention.

En l’espèce, la Cour note que les juridictions internes ont estimé que le requérant, journaliste de profession, ne pouvait pas ignorer que le portrait‑robot qu’il détenait et qu’il s’apprêtait à publier était couvert par le secret de l’instruction, d’autant qu’il admet avoir téléphoné que commissaire, chef du service en charge de l’enquête, ce qui confirme le fait qu’il n’ignorait pas qu’une information judiciaire avait été ouverte et que le portrait-robot qu’il s’était procuré était issu de cette procédure.

Le requérant ayant refusé de s’expliquer sur la manière dont il était entré en possession du portrait-robot litigieux, la Cour ne relève, au cas d’espèce, aucune atteinte à la protection des sources des journalistes n’identifie aucune raison sérieuse de remettre en cause le raisonnement tenu par les juridictions internes et la solution à laquelle elles sont parvenues en caractérisant, dans la présente affaire, le délit de recel.

En l’espèce, la Cour note que la publication du portrait-robot litigieux, accompagné d’un court commentaire en légende, s’est inscrite dans le cadre d’un ensemble d’articles tous signés du requérant et portant, sur une page entière, sur une série de viols et d’agressions, qui semblaient impliquer un même auteur. La présentation de ce portrait-robot s’est accompagnée d’une mise en scène particulière : alors que la page était titrée « La police parisienne traque un violeur en série », il était présenté dans une colonne spécifique, sur un fond de couleur différente du reste de la page, sous le titre « Il agit comme un prédateur », placé juste à côté de la photo d’illustration montrant au premier plan une femme marchant seule, vue de dos. Conformément à l’appréciation des juridictions internes, la Cour estime que ces choix éditoriaux ne laissent guère de doute quant à l’approche sensationnaliste que le requérant avait retenue s’agissant de cette partie de la publication.

En outre, la Cour souligne le fait que le portrait-robot litigieux, initialement réalisé à l’aide de la description faite par une seule victime, ne correspondait plus, à la date de sa publication, au signalement de l’auteur présumé des faits, les investigations ayant entretemps permis d’obtenir plusieurs photographies du suspect. C’est donc à juste titre que les juridictions internes ont relevé que le requérant avait publié ce portrait-robot en le présentant comme correspondant au signalement du violeur en série, sans se préoccuper de sa fiabilité ou de son effet sur l’information judiciaire en cours au mépris des devoirs et responsabilités des journalistes que comporte l’exercice de la liberté d’expression.

Si le public a un intérêt légitime à être informé, la question qui se pose est celle de savoir si le contenu de la publication litigieuse et, en particulier, les informations qui étaient couvertes par le secret de l’instruction, étaient de nature à nourrir le débat public sur le sujet en question.

Dans la présente affaire, la Cour reconnaît que le sujet à l’origine de l’article relevait de l’intérêt général.

Pour autant, la Cour constate que, même si son intention initiale pouvait être de s’associer par cette diffusion à la résolution de l’enquête, le requérant n’a pas démontré en quoi la publication du portrait-robot litigieux était de nature à nourrir d’une manière quelconque un débat public sur l’enquête en cours.

Dès lors, la Cour n’identifie aucune raison sérieuse de remettre en cause l’appréciation retenue par les juridictions internes qui ont considéré que l’intérêt d’informer le public ne justifiait pas l’utilisation de la pièce de la procédure en litige.

Il est légitime de vouloir accorder une protection particulière au secret de l’instruction compte tenu de l’enjeu d’une procédure pénale, tant pour l’administration de la justice que pour le droit au respect de la présomption d’innocence des personnes mises en examen. La Cour souligne que le secret de l’instruction sert à protéger, d’une part, les intérêts de l’action pénale, d’autre part, les intérêts du prévenu. Il est en outre justifié par la nécessité de protéger le processus de formation de l’opinion et de prise de décision du pouvoir judiciaire. Elle rappelle en outre qu’on ne saurait attendre d’un gouvernement qu’il apporte la preuve, a posteriori, que ce type de publication a eu une influence réelle sur les suites de la procédure.

Dans la présente affaire, les juridictions internes ont considéré que la parution de l’article litigieux avait entravé le déroulement normal des investigations. Elles ont relevé en effet que la publication du portrait-robot avait été interprétée par certains lecteurs, alors même qu’elle n’était pas à l’initiative des services chargés de l’enquête, comme un appel à témoins. Cela a eu pour effet de provoquer de nombreux appels téléphoniques aux services de police et a conduit le juge d’instruction et la direction de la police judiciaire à mettre en œuvre, dès le lendemain de la parution de l’article, la procédure d’appel à témoins avec diffusion d’une photographie de l’homme recherché. C’est à juste titre qu’elles ont relevé, par des décisions dûment motivées, que l’auteur de cette publication a choisi d’interférer dans le déroulement de l’enquête qui se trouvait alors dans la phase la plus délicate de l’identification et de l’interpellation du suspect.

La Cour, qui relève également les conséquences psychologiques que la publication litigieuse a entraînées pour les victimes qui se sont constituées parties civiles ainsi que la circonstance que le suspect a pris la fuite en Belgique, n’identifie aucune raison sérieuse de remettre en cause l’appréciation selon laquelle cette publication a exercé une influence négative sur la conduite de la procédure pénale.

Enfin, la Cour estime que le recours à la voie pénale, ainsi que la peine infligée au requérant, à savoir une amende de trois mille euros au lieu des huit mille initialement fixés par le tribunal correctionnel, la cour d’appel ayant décidé de sanctionner les faits reprochés dans une plus juste mesure n’ont pas constitué une ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression.

Dans ces conditions, aux yeux de la Cour, on ne saurait considérer qu’une telle sanction risque d’avoir un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté d’expression du requérant ou de tout autre journaliste souhaitant informer le public au sujet d’une procédure pénale en cours. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 10.

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