DOMMAGE CORPOREL : PERTE DE GAINS PROFESSIONNELS NECESSAIRE SUITE A PERTE D’EMPLOI (SANS INAPTITUDE A TOUT EMPLOI)

DROIT DU TRAVAIL : Handicap

DOMMAGE CORPOREL : PERTE DE GAINS PROFESSIONNELS NECESSAIRE SUITE A PERTE D’EMPLOI (SANS INAPTITUDE A TOUT EMPLOI)

Cass, Civ 2, 17 décembre 2020, n°19-15.969

La Cour de cassation retient en ce sens :

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Rouen, 12 décembre 2018), Mme N… épouse Q… a eu, le 20 novembre 2008, le pied droit écrasé sous le sabot d’un cheval appartenant à M. U…. Elle a subi un arrêt de travail jusqu’au 30 octobre 2011 avant d’être classée, le 1er novembre 2011, en invalidité catégorie 1, déclarée inapte à la reprise de son poste, le 18 novembre 2011, par le médecin du travail et licenciée pour inaptitude le 27 janvier 2012.

2. Mme Q… a assigné M. U…, son assureur en responsabilité civile, la société Generali (l’assureur), et la caisse primaire d’assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe (la caisse) aux fins de liquidation de son préjudice corporel.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen, ci-après annexé

3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Mme Q… fait grief à l’arrêt de fixer son préjudice à la seule somme de 132 804,14 euros dont 8 154 euros au titre de la tierce personne temporaire, alors que « le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance d’un membre de la famille ni subordonné à la justification de dépenses effectives ; que pour évaluer le préjudice corporel de Mme Q…, la cour d’appel a retenu la nécessité d’une assistance temporaire par tierce personne mais, considérant que les charges sociales n’ayant pas été prises en charge par la victime qui a bénéficié d’une aide familiale ne pouvaient donner lieu à remboursement sauf à consacrer un enrichissement sans cause, a décidé qu’il convenait, en conséquence, de retenir un taux horaire de 15 euros ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a méconnu le principe de la réparation intégrale et violé l’article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte et profit pour la victime :

5. Le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance familiale ni subordonné à la justification de dépenses effectives.

6. Pour évaluer l’indemnisation due au titre de l’assistance d’une tierce personne, assurée par la famille de Mme Q…, l’arrêt énonce que les charges sociales qui n’ont pas été prises en charge par la victime ne sauraient donner lieu à remboursement sauf à la faire bénéficier d’un enrichissement sans cause ce dont il déduit que la base horaire sera en conséquence fixée à 15 euros comme l’a fait le tribunal.

7. En statuant ainsi, en déduisant de l’indemnisation allouée à la victime les charges sociales au motif que la tierce personne qui l’avait assistée avant sa consolidation était une aide familiale, la cour d’appel a violé le principe susvisé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. Mme Q… fait grief à l’arrêt de fixer son préjudice à la seule somme de 132 804,14 euros dont la somme de 22 505,56 euros au titre des frais de véhicule adapté, alors que « le juge doit évaluer le préjudice au jour où il statue ; qu’en refusant d’actualiser le préjudice résultant des frais de véhicule adapté au jour où elle statuait au motif que le tribunal avait capitalisé ce poste de préjudice à la date à laquelle il s’était prononcé, la cour d’appel a méconnu le principe de la réparation intégrale ensemble l’article 1382 devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

9. Il résulte de ce principe que les juges du fond sont tenus, si la victime le demande, d’évaluer le préjudice à la date de leur décision.

10. L’arrêt retient que la demande d’actualisation de l’indemnisation au titre de l’adaptation du véhicule sera rejetée dès lors que le tribunal a capitalisé ce poste de préjudice à la date à laquelle il a statué.

11. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait, à la demande de la victime, d’actualiser, au jour de sa décision, l’indemnisation des frais de véhicule adapté, la cour d’appel a violé le principe susvisé.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. Mme Q… fait grief à l’arrêt de fixer son préjudice à la seule somme de 132 804,14 euros dont la somme de 4 525,11 euros avant imputation de la créance de la caisse au titre des pertes de gains professionnels futurs, alors « qu’il résulte de pièces versées aux débats que le poste de secrétaire est incompatible avec les séquelles de Mme Q… » qui « avait sous-estimé l’incidence de ses séquelles sur l’exercice de sa profession » ; qu’en décidant cependant qu’il n’était nullement établi que les séquelles de la victime l’empêchent de retrouver un emploi autre que celui de secrétaire et aussi rémunérateur que celui qu’elle occupait précédemment, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations d’où il ressortait que Mme Q… n’était plus en mesure d’exercer une activité professionnelle dans les conditions antérieures à celles de l’accident, et violé le principe ci-dessus rappelé et l’article 1382 devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

13. L’arrêt énonce que le premier juge a constaté que le licenciement était en lien de causalité directe avec le sinistre et relève que la victime fait valoir qu’elle avait, quelque temps après son licenciement, travaillé dans le cadre de missions d’intérim puis d’un contrat « initiative emploi » pour le soutien scolaire d’un enfant et qu’elle a perdu un emploi stable de secrétaire avec un salaire net de 1 212,08 euros par mois pour occuper actuellement un emploi précaire lui procurant des ressources inférieures.

14. La décision ajoute que, contrairement à ce que prétendent l’assureur et M. U…, il résulte des pièces versées aux débats que le poste de secrétaire est incompatible avec les séquelles de Mme Q…, même si l’expert, qui ne semble pas s’être penché sur la question, ne l’a pas retenu en se bornant à reprendre les déclarations de la victime selon lesquelles elle déclarait pouvoir reprendre son travail sauf impossibilité de conduire pour s’y rendre, la suite ayant en effet prouvé que Mme Q… avait sous-estimé l’incidence de ses séquelles sur l’exercice de sa profession.

15. L’arrêt en déduit que, néanmoins, il n’est nullement établi que les séquelles de la victime l’empêchent de retrouver un emploi autre que celui de secrétaire et aussi rémunérateur que celui qu’elle occupait précédemment et que le préjudice au titre des pertes de gains professionnels futurs se limitera à la période d’arrêt de travail subie immédiatement après sa date de consolidation, soit du 9 juillet au 30 octobre 2011.

16. En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que l’accident dont Mme Q… avait été victime l’avait définitivement empêchée de reprendre son emploi de secrétaire et l’avait contrainte, en suite de son licenciement pour inaptitude médicale, à travailler en qualité d’intérimaire puis à occuper, sous contrat à durée déterminée, un emploi moins rémunérateur, la cour d’appel a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il infirme le jugement en ses dispositions condamnant in solidum M. U… et la société Generali à payer à Mme Q… la somme de 289 413,31 euros au titre de la réparation de son préjudice corporel et en ce qu’il fixe à 132 804,14 euros le préjudice corporel de Mme Q… à la suite de l’accident survenu le 20 novembre 2008, à 54 066,06 euros la créance de Mme Q… à l’encontre de M. U… et de la société Generali après déduction des débours de la CPAM versés directement à la victime et dit qu’il y a lieu à répétition par Mme Q… du solde indu au bénéfice de la société Generali, pour un montant de 56 905,05 euros, l’arrêt rendu le 12 décembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Rouen ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Caen ;

Condamne M. U… et la société Generali aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille vingt et signé par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat aux Conseils, pour Mme N…, épouse Q…

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir fixé le préjudice de Mme Q… à la seule somme de 132 804,14 euros dont 8 154 euros au titre de la tierce personne temporaire,

AUX MOTIFS QUE le premier juge, après avoir rappelé que l’expert n’avait pas retenu le besoin d’une tierce personne temporaire, a néanmoins estimé qu’il y avait lieu de prendre en considération les douleurs invalidantes du membre inférieur droit pour évaluer le besoin de la victime en aide humaine, notamment pour les grosses tâches ménagères, les courses et la conduite automobile de longue distance et à répétition pendant 96 semaines à concurrence de deux heures par semaine, au tarif horaire de 15 €, soit une réparation à hauteur de 2880 € ; que Mme Q…, qui souligne qu’il résulte clairement du rapport d’expertise qu’elle a eu besoin d’être aidée à la suite de son accident en raison des douleurs intenses et très invalidantes s’étendant du pied à la cheville droite, fait valoir que sa marche a été très difficile et limitée avec l’aide de deux cannes puis d’une seule et que la conduite d’un véhicule, réveillant la douleur, a été impossible puis considérablement réduite ; qu’elle en déduit la nécessité d’une tierce personne, qui a été assurée en l’espèce par son époux et sa mère, pour ses déplacements en consultation médicale et aux expertises, les déplacements de leur fils mineur H…, l’entretien du domicile et les courses ; que Mme Q… reproche au tribunal d’avoir méconnu le principe de réparation intégrale en tenant compte de l’aide apportée par son mari, alors qu’elle était entièrement autonome avant l’accident, mais aussi d’avoir fixé le besoin forfaitairement à deux heures par jour, ce qui ne pouvait correspondre à l’entretien du domicile, aux courses et aux conduites sur des longues distances et à répétition ; qu’elle demande qu’il soit retenu :
– pour l’entretien du domicile : trois heures par semaine durant 137 semaines, soit 411 heures ;
– pour les courses : deux heures par semaine durant 137 semaines, soit 274 heures.
– pour les transports aux consultations et expertises : 11 heures 36 selon détail figurant dans ses conclusions ;
– pour les transports de son fils à l’école et à ses différentes activités sportives (piscine, foot) : 272 heures.
soit un total de 968 heures 36 sur la base de 20 euros/heure charges comprises : 19 372 euros ; que la société Generali et M. U… concluent au débouté pour ce chef de préjudice en faisant valoir que l’expert ne l’a pas retenu, que Madame Q… ne justifie pas avoir dû s’occuper seule de son ménage avant l’accident, étant rappelé qu’elle occupait à l’époque un emploi et ne pouvait se dédier intégralement aux tâches domestiques, ni avoir été dans l’impossibilité depuis l’accident de le faire ; qu’ils invoquent en outre le rapport d’enquête privée établi à la demande de la société Generali dont il résulte que Madame Q… effectuait ses courses alimentaires sans difficulté aucune, son accompagnateur se limitant à pousser le caddy ; que toutefois, les constatations faites par l’enquêteur privé ont eu lieu en 2015, alors que la somme allouée par le tribunal concerne une période de 96 semaines bien antérieure puisque s’achevant en 2010 et que la période de 137 semaines revendiquée par la victime a pris fin le 9 juillet 2011 ; que de même l’attestation de Madame G… invoquée par la société Generali et M. U… est relative à la période 2013-2014 ; qu’il résulte du rapport d’expertise que les douleurs, selon Mme Q… elle-même, restaient quotidiennes en 2011 mais que les douleurs vives étaient moins fréquentes, étant observé qu’elle avait rapporté à l’expert qu’elle se sentait en état de travailler mais ne pouvait conduire pour se rendre sur son lieu de travail ; que si l’expert ne s’est pas prononcé sur la nécessité ou non d’une tierce personne, sans qu’il soit possible de savoir si cette question faisait partie de sa mission, il est indéniable que, comme l’a retenu le tribunal, les douleurs intenses ressenties par Mme Q… après l’accident l’ont empêchée de conduire et de s’occuper de sa maison et des courses ; que le calcul précis effectué à cet égard par la victime n’a fait l’objet d’aucune critique de la part du premier juge ni de la part de la société Generali et de M. U… ; qu’il résulte du rapport d’expertise que l’impossibilité de conduire a existé pendant toute la période revendiquée par Madame Q…, soit du 20 novembre 2008 au 9 juillet 2011 ; que compte tenu par ailleurs de ce que, au vu du rapport d’expertise, les douleurs initiales ont été amoindries à partir du mois de novembre 2010, de sorte qu’il n’est pas établi qu’au-delà du 20 novembre 2010 Madame Q… a été dans l’impossibilité d’entretenir le domicile et de faire les courses, le préjudice lié à l’assistance d’une tierce personne sera ainsi fixé, étant observé que les charges sociales qui n’ont pas été prises en charge par la victime ne sauraient donner lieu à remboursement sauf à la faire bénéficier d’un enrichissement sans cause et que la base horaire sera en conséquence fixée à 15 € comme l’a fait le tribunal, selon le calcul suivant :
– entretien du domicile : 3 H x 52 semaines x 15 € = 2340 €
– courses : 2Hx 52 semaines x 15 € : 1560 €
– trajets : 283H36 x 15 € = 4254 €
Il sera dès lors alloué à la victime au titre de la tierce personne temporaire une somme totale de 1 154 euros (arrêt p. 7 et 8) ;

ALORS QUE, le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance d’une tierce personne ne saurait être réduit en cas d’assistance d’un membre de la famille ni subordonné à la justification de dépenses effectives ; que pour évaluer le préjudice corporel de Mme Q…, la cour d’appel a retenu la nécessité d’une assistance temporaire par tierce personne mais, considérant que les charges sociales n’ayant pas été prises en charge par la victime qui a bénéficié d’une aide familiale, ne pouvaient donner lieu à remboursement sauf à consacrer un enrichissement sans cause, a décidé qu’il convenait, en conséquence, de retenir un taux horaire de 15 € ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a méconnu le principe de la réparation intégrale et violé l’article 1382, devenu 1240, du code civil.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir fixé le préjudice de Mme Q… à la seule somme de 132 804,14 euros dont la somme de 22 505,56 € au titre des frais de véhicule adapté,

AUX MOTIFS QUE le tribunal, après avoir constaté que l’expert n’évoquait pas la nécessité d’un véhicule adapté en 2011, a déduit de l’existence des séquelles douloureuses au pied et à la cheville droite, établies par l’ensemble des pièces produites, l’existence d’une gêne douloureuse à la conduite à laquelle l’adaptation du véhicule était de nature à remédier ; que pour solliciter l’infirmation de ce chef, la société Generali et M. U… font valoir que l’expert n’a pas retenu la nécessité d’un véhicule adapté et a constaté qu’il n’existait plus de signe clinique d’algodystrophie mais également que l’enquêteur privé mandaté par la compagnie a pu observer que Madame Q… effectuait huit trajets à bord de son véhicule sur deux jours ; que toutefois l’expert, s’il a pu émettre quelques doutes sur les affirmations de Mme Q…, notamment quant à son impossibilité de conduire un véhicule, a retenu l’existence séquellaire de douleurs importantes au pied et à la cheville ; qu’ainsi que l’a relevé le tribunal, il ne peut être imposé à la victime de conduire son véhicule en subissant des douleurs au pied qui rendent la conduite pénible alors qu’un aménagement est de nature à limiter cet inconvénient ; qu’il sera en conséquence fait droit à la demande d’indemnisation au titre de l’adaptation du véhicule et le jugement sera confirmé de ce chef le calcul du préjudice n’étant pas contesté à titre subsidiaire ; que Mme Q… sera déboutée de sa demande d’actualisation dès lors que le tribunal a capitalisé ce poste de préjudice à la date à laquelle il a statué ;

ALORS QUE le juge doit évaluer le préjudice au jour où il statue ; qu’en refusant d’actualiser le préjudice résultant des frais de véhicule adapté au jour où elle statuait au motif que le tribunal avait capitalisé ce poste de préjudice à la date à laquelle il s’était prononcé, la cour d’appel a méconnu le principe de la réparation intégrale ensemble l’article 1382 devenu 1240 du code civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir fixé le préjudice de Mme Q… à la seule somme de 132 804,14 euros dont la somme de 4525,11 euros avant imputation de la créance de la CPAM au titre des pertes de gains professionnels futurs,

AUX MOTIFS QUE pour chiffrer ce poste de préjudice « perte de gains professionnels futurs » à 209 446,83 euros avant imputation de la créance de la CPAM, le premier juge, après avoir constaté que le licenciement était en lien de causalité directe avec le sinistre, a capitalisé la perte de revenus comme il était proposé dans les dernières écritures de la demanderesse ; que Mme Q… fait valoir qu’elle a été placée en arrêt de travail du 20 novembre 2008 au 9 juillet 2011, date de consolidation, mais que son arrêt de travail s’est prolongé ensuite jusqu’au 30 octobre 2011, soit pendant trois mois supplémentaires, pendant lesquels elle a reçu des indemnités journalières qui n’ont pas entièrement compensé sa perte de revenus ; qu’elle rappelle qu’elle a été placée en invalidité de catégorie 1 au 1er novembre 2011, percevant à partir de cette date une pension de 3371,88 euros nets par an, soit 293,40 euros par mois, qu’elle a été déclarée inapte à la reprise de son poste par le médecin du travail qui préconisait uniquement une reprise à un poste en télétravail à domicile et qu’elle a ensuite été licenciée ; qu’elle a, quelque temps après, travaillé dans le cadre de missions d’intérim, puis d’un contrat initiative emploi pour le soutien scolaire d’un enfant ; que Mme Q… en déduit qu’elle a perdu un emploi stable de secrétaire avec un salaire net de 1212,08 euros par mois pour occuper actuellement un emploi précaire lui procurant des ressources inférieures ; que la société Generali et M. U… demandent à la cour de rejeter ce poste de préjudice en faisant valoir :
– que l’incapacité constatée par la médecine du travail était spécifique au poste occupé dans la société Soretec où était employée Madame Q… et non à la fonction de secrétaire, par définition sédentaire ;
– que Madame Q… a par la suite suivi une formation de comptabilité et gestion de paie, puis a occupé un poste de secrétaire en intérim compatible avec les séquelles ;
– qu’elle a ensuite choisi de changer de voie professionnelle et d’exercer dans le milieu scolaire, de telle sorte qu’elle est mal fondée à prétendre ne plus pouvoir occuper un poste de secrétaire ; que toutefois, contrairement à ce que prétendent la société Generali et M. U…, il résulte des pièces versées aux débats que le poste de secrétaire est incompatible avec les séquelles de Madame Q…, même si l’expert, qui ne semble pas s’être penché sur la question, ne l’a pas retenu en se bornant à reprendre les déclarations de Mme Q… selon lesquelles elle déclarait pouvoir reprendre son travail sauf impossibilité de conduire pour s’y rendre ; que la suite a en effet prouvé que Madame Q… avait sous-estimé l’incidence de ses séquelles sur l’exercice de sa profession ; que néanmoins, il n’est nullement établi que les séquelles de la victime l’empêchent de retrouver un emploi autre que celui de secrétaire et aussi rémunérateur que celui qu’elle occupait précédemment ; que dès lors, le préjudice de Madame Q… au titre des pertes de gains professionnels futurs se limitera à la période d’arrêt de travail subie immédiatement après sa date de consolidation, soit du 9 juillet au 30 octobre 2011 ; qu’il lui sera alloué de ce chef la somme de 4525,11 euros avant imputation de la créance de la CPAM, le jugement entrepris étant infirmé du chef de la perte de gains professionnels futurs ;

ALORS QUE la victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice ; qu’en l’espèce la cour d’appel a constaté que Mme Q… avait été placée en invalidité de catégorie 1, qu’elle avait été déclarée inapte à la reprise de son poste de travail de secrétaire, le médecin du travail préconisant uniquement un poste en télétravail à domicile, qu’elle avait finalement été licenciée et que « il résulte de pièces versées aux débats que le poste de secrétaire est incompatible avec les séquelles de Mme Q… » qui « avait sous-estimé l’incidence de ses séquelles sur l’exercice de sa profession » ; qu’en décidant cependant qu’il n’était nullement établi que les séquelles de la victime l’empêchent de retrouver un emploi autre que celui de secrétaire et aussi rémunérateur que celui qu’elle occupait précédemment, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations d’où il ressortait que Mme Q… n’était plus en mesure d’exercer une activité professionnelle dans les conditions antérieures à celles de l’accident, et violé le principe ci-dessus rappelé et l’article 1382 devenu 1240 du code civil.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir fixé le préjudice de Mme Q… à la seule somme de 132 804,14 euros dont la somme de 30 000 € au titre de l’incidence professionnelle,

AUX MOTIFS QUE pour retenir l’existence d’une incidence professionnelle indemnisable, le premier juge a constaté que les séquelles avaient modifié durablement la situation de la victime dans la sphère professionnelle, que son emploi était devenu précaire, qu’elle avait dû en changer et se former pour une reconversion, réduire ses choix à des emplois sédentaires et à proximité de son domicile, qu’elle subissait en outre une gêne douloureuse et avait perdu des droits à la retraite depuis son licenciement ; qu’il a retenu une somme de 55 132,63 euros correspondant au quart du capital représentatif de la perte de gains professionnels futurs au titre de la perte des droits à la retraite, outre un capital de 50 075,23 euros correspondant aux autres inconvénients ci-dessus spécifiés, sur la base d’un cinquième du salaire annuel antérieur à revaloriser en 2015, soit 3148 € par an ; que pour voir écarter ce chef de préjudice, la société Generali et M. U… font valoir que l’expert n’a pas retenu d’incidence professionnelle, que la méthode retenue par le tribunal pour quantifier la perte des droits à la retraite est critiquable de même que l’allocation d’un montant égal à un cinquième du salaire annuel antérieur ; que toutefois, le fait que l’expert n’ait pas retenu une incidence professionnelle n’est pas déterminant pour les raisons ci-dessus exposées quant aux questions qui lui ont été posées dans le cadre de sa mission, qui restent indéterminées ; que la cour ne peut que confirmer le principe de l’existence d’une incidence professionnelle dès lors qu’il est indiscutable que les séquelles de l’accident limitent les possibilités professionnelles de Madame Q… qui ne peut plus exercer sa profession antérieure ; que celle-ci se trouve ainsi limitée dans ses recherches d’emploi et ne peut plus faire valoir son expérience acquise dans sa profession antérieure ; que dès lors que la perte de gains professionnels futurs ne concerne que trois mois pendant lesquels Madame Q… a perçu des indemnités journalières prises en compte dans le cadre du calcul de la retraite, le chiffrage retenu à cet égard par le tribunal doit être écarté ; que l’évaluation forfaitaire sur la base d’un cinquième du salaire antérieur devra également être écartée en l’absence de toute justification, étant rappelé que l’incidence professionnelle ne correspond pas à une perte de revenus mais a l’indemnisation d’un déclassement que la cour évaluera en l’espèce à la somme de 30 000 euros, le jugement étant infirmé de ce chef ;

ALORS QUE méconnaît le principe de la réparation intégrale le juge qui évalue un chef de préjudice à une somme forfaitaire ; qu’en évaluant en l’espèce le poste de préjudice lié à l’incidence professionnelle à la somme forfaitaire de 30 000 euros sans égard pour les nombreux éléments quantifiables invoqués par Mme Q… dans ses conclusions d’appel, la cour d’appel a violé le principe ci-dessus énoncé ensemble l’article 1382 devenu 1240 du code civil.