DOMMAGE CORPOREL : METHODE DE CALCUL DE LA RENTE TIERCE PERSONNE (PAS DE REDUCTION EN CAS D’AIDE FAMILIALE)

Erreur médicale

DOMMAGE CORPOREL : METHODE DE CALCUL DE LA RENTE TIERCE PERSONNE (PAS DE REDUCTION EN CAS D’AIDE FAMILIALE)

CE, 5ème ch., 20 avril 2021, n°433099

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure

Mme G… A… B…, agissant en son nom et au nom de Mme D… E…, majeure protégée, Mme C… E… et M. F… E… ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille (AP-HM) à verser les sommes de 300 000 euros à Mme A… B…, de 50 000 euros chacun à Mme C… E… et à M. F… E… et de 3 023 442,72 euros à Mme A… B… en qualité de tutrice de Mme D… E… ainsi qu’une rente trimestrielle de 33 798,23 euros en réparation des préjudices qu’ils estiment avoir subis du fait de l’infection nosocomiale contractée par Mme D… E…. La caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) des Alpes de Haute-Provence a demandé au tribunal de condamner l’AP-HM à lui verser la somme de 90 421,71 euros au titre des débours et la somme de 1 047 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion. Par un jugement n° 1510357 du 12 mars 2018, le tribunal administratif de Marseille a condamné l’AP-HM à verser à Mme A… B…, en son nom personnel, la somme de 11 556,51 euros et, en qualité de tutrice de sa fille, la somme de 294 759,60 euros et une rente mensuelle d’un montant de 5 300 euros et à la CPAM des Alpes de Haute-Provence les sommes de 32 487,71 euros et une rente annuelle d’un montant de 1 117,30 euros au titre des débours et de 1 066 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion et a mis les frais de l’expertise, liquidés et taxés à la somme de 2 200 euros, à la charge de l’AP-HM.

Par un arrêt n° 18MA02162 du 4 juillet 2019, la cour administrative d’appel de Marseille a, sur appel de Mme A… B… et autres, appel incident de l’AP-HM et appel provoqué de la CPAM des Alpes de Haute-Provence, porté la somme que l’AP-HM est condamnée à verser à Mme D… E… à 795 922,93 euros, sous déduction de la somme perçue à compter de sa majorité au titre de l’allocation adulte handicapé avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, porté le montant de la rente mensuelle que l’AP-HM est condamnée à verser à Mme D… E… à 17 503 euros par trimestre et la somme que l’AP-HM est condamnée à verser à Mme A… B… à 15 000 euros.

Procédures devant le Conseil d’Etat

1° Sous le n° 433099, par une décision du 2 juillet 2020, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a prononcé l’admission des conclusions du pourvoi de Mme A… B… et autres dirigées contre l’arrêt du 4 juillet 2019 de la cour administrative d’appel de Marseille en tant qu’il statue sur l’indemnisation d’une perte de gains professionnels, en tant qu’il ne prévoit pas d’imputer à un poste de préjudice déterminé la déduction qu’il opère de la somme perçue au titre de l’allocation adulte handicapé, en tant qu’il statue sur l’indemnisation due à Mme D… E… au titre de l’aide par une tierce personne et en tant qu’il déduit, au titre des frais de déplacement, 2 166,58 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2020, l’AP-HM conclut au rejet du pourvoi. Elle soutient que les moyens du pourvoi ne sont pas fondés.

2° Sous le n° 434245, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 septembre et 2 décembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’AP-HM demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le même arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel de Mme A… B… et autres.

L’AP-HM soutient que l’arrêt qu’elle attaque est entaché :
– d’erreur de droit et de contradiction de motifs en ce qu’il la condamne à verser à Mme D… E… une rente viagère trimestrielle totale de 17 503 euros au-delà du 5 octobre 2022, alors que la partie allouée au titre des frais de santé futurs n’était due que jusqu’à cette date ;
– d’erreur de droit en ce qu’il alloue à Mme D… E… une rente trimestrielle de 16 068 euros au titre des frais futurs d’assistance par une tierce personne à hauteur de douze heures par jour, alors qu’il devait prendre la forme d’une rente allouée en fonction du nombre de nuits que celle-ci passera à son domicile.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de la santé publique ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Olivier Rousselle, conseiller d’Etat,

– les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteure publique.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de Mme A… B…, de Mme D… E…, de Mme C… E… et de M. F… E…, à Me Le Prado, avocat de l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille, à Me Le Prado, avocat de l’Assistance Publique – Hôpitaux De Marseille et à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat de M. F… E….

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à la suite de l’infection nosocomiale contractée par Mme E… à l’hôpital de la Timone de l’Assistance publique – Hopitaux de Marseille (AP-HM), sa mère, Mme A… B… et d’autres requérants ont demandé au juge administratif, tant en leur nom propre qu’au nom de Mme E… qui a la qualité de majeure protégée, de condamner l’AP-HM à les indemniser des divers préjudices qu’ils estiment en lien avec cette infection. Par deux pourvois qu’il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision, l’AP-HM d’une part et, d’autre part, Mme A… B… et autres, se pourvoient en cassation contre l’arrêt du 4 juillet 2019 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a réformé le jugement du 12 mars 2018 du tribunal administratif de Marseille en fixant le montant de l’indemnité due par l’AP-HM à 795 922,93 euros, le montant de la rente mensuelle qu’elle est condamnée à verser à Mme E… à 17 503 euros par trimestre et le montant dû au titre de divers frais à 15 000 euros.

Sur l’arrêt en tant qu’il statue sur les préjudices professionnels de Mme E… :

2. En premier lieu, lorsque la victime se trouve, du fait d’un accident corporel survenu dans son jeune âge, privée de toute possibilité d’exercer un jour une activité professionnelle, la seule circonstance qu’il soit impossible de déterminer le parcours professionnel qu’elle aurait suivi ne fait pas obstacle à ce que soit réparé le préjudice, qui doit être regardé comme présentant un caractère certain, résultant pour elle de la perte des revenus qu’une activité professionnelle lui aurait procurés et de la pension de retraite consécutive. Il y a lieu de réparer ce préjudice par l’octroi à la victime, à compter de sa majorité et sa vie durant, d’une rente fixée sur la base du salaire médian net mensuel de l’année de sa majorité et revalorisée par application des coefficients prévus à l’article L. 434-17 du code de la sécurité sociale. Doivent être déduites de cette rente les sommes éventuellement perçues par la victime au titre de l’allocation aux adultes handicapés.

3. Par suite, en se fondant, ainsi qu’il résulte des termes de l’arrêt attaqué, sur la circonstance que Mme E… était dans l’incapacité, du fait de son handicap, d’exercer une activité professionnelle et qu’elle n’avait jamais travaillé, pour en déduire qu’elle ne pouvait demander l’indemnisation d’une perte de gains professionnels futurs, alors qu’elle pouvait se prévaloir d’un préjudice, distinct des troubles dans ses conditions d’existence, résultant de la perte des revenus qu’une activité professionnelle lui aurait procurés, la cour administrative d’appel a méconnu les principes énoncés ci-dessus et commis une erreur de droit.

4. En second lieu, en déduisant de la somme de globale de 795 922,93 euros qu’elle condamnait l’AP-HM à verser à Mme E… la somme perçue à compter de sa majorité au titre de l’allocation adulte handicapé, alors que cette prestation ne peut être déduite que d’une indemnisation versée au titre du préjudice professionnel et que son arrêt écarte, ainsi qu’il vient d’être dit, toute indemnisation d’un préjudice professionnel, la cour a commis une autre erreur de droit.

5. Mme A… B… est, par suite, fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il rejette ses conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice professionnel de Mme E… et en tant qu’il impute sur la condamnation qu’il prononce les sommes qui seront perçues par Mme E… au titre de l’allocation adultes handicapés.

Sur l’arrêt en tant qu’il statue sur les frais d’assistance apportée à Mme E… par une tierce personne :

6. En premier lieu, il résulte des termes de son arrêt que, après avoir alloué à Mme E…, d’une part, une rente viagère au titre de l’assistance par une tierce personne et, d’autre part, une rente liée aux soins à administrer dans les dix ans qui suivent la consolidation et qui doit, de ce fait, être versée seulement jusqu’au 5 octobre 2022, la cour a condamné l’AP-HM à verser à Mme E… une unique rente viagère d’un montant égal à la somme de ces deux rentes. L’AP-HM est, par suite, fondée à soutenir qu’en la condamnant à verser, après le 5 octobre 2022, une rente viagère qui englobe le montant de soins qui ne doivent plus être indemnisés au-delà de cette date, la cour a commis une erreur de droit.

7. En deuxième lieu, en fixant, ainsi qu’il ressort des termes de son arrêt, le montant des frais d’assistance par une tierce personne à hauteur de douze heures par jour, sans tenir compte du nombre de jours que Mme E… passerait dans le domicile où cette assistance est requise, la cour a entaché son arrêt d’une autre erreur de droit.

8. Enfin, en se fondant sur la circonstance que l’aide par une tierce personne serait assurée par un membre de la famille pour fixer à 13 euros le taux horaire servant au calcul de la rente alors qu’une telle circonstance ne saurait, par elle-même, intervenir dans la fixation du montant dû à ce titre, la cour a également entaché son arrêt d’une erreur de droit.

9. Mme A… B… et l’AP-HM sont, par suite, fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il fixe le montant de la rente viagère servie à Mme E….

Sur l’arrêt en tant qu’il statue sur les frais de déplacement :

10. En déduisant, ainsi qu’il résulte des termes de son arrêt, les remboursements de frais de trajet versés à Mme E… par le département des Alpes de Haute-Provence de la somme mise à la charge de l’AP-HM au titre des frais de déplacement de Mme E… pour des consultations médicales, alors qu’il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que les déplacements indemnisés par le département sont relatifs à des transports en taxi ayant permis à Mme E… de pratiquer une activité artistique, la cour a commis une erreur de droit.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l’arrêt attaqué doit seulement être annulé en tant qu’il statue sur l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs, en tant qu’il procède à la déduction de la somme à percevoir au titre de l’allocation adulte handicapé, en tant qu’il statue sur l’indemnisation au titre de l’aide par une tierce personne et en tant qu’il déduit de l’indemnité due au titre des frais de transport les trajets pris en charge par le département des Alpes de Haute-Provence.

12. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de l’AP-HM la somme que demandent Mme A… B… et autres au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 4 juillet 2019 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé en tant qu’il statue sur l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs de Mme E…, en tant qu’il procède à la déduction de la somme à percevoir au titre de l’allocation adulte handicapé, en tant qu’il statue sur l’indemnisation au titre de l’aide par une tierce personne et en tant qu’il déduit de l’indemnité due au titre des frais de transport les trajets pris en charge par le département des Alpes de Haute-Provence.

Article 2 : L’affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, à la cour administrative d’appel de Marseille.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme G… A… B…, première requérante dénommée et à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d’assurance maladie des Alpes de Haute-Provence, à la caisse primaire d’assurance maladie des Hautes-Alpes et à la Mutuelle générale de l’éducation nationale.