DOMMAGE CORPOREL : L’INCIDENCE PROFESSIONNELLE LIEE AU PREJUDICE DE RETRAITE DOIT ETRE INDEMNISEE EN CAS DE RETENTISSEMENT SUR LA CARRIERE

DROIT DU TRAVAIL : Inaptitude

DOMMAGE CORPOREL : L’INCIDENCE PROFESSIONNELLE LIEE AU PREJUDICE DE RETRAITE DOIT ETRE INDEMNISEE EN CAS DE RETENTISSEMENT SUR LA CARRIERE

Cass, Civ 2, 11 mars 2021, n°20-12.319

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 5 décembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 17 janvier 2019, pourvoi n° 17-26.710), M. Y…, qui avait souscrit auprès de la société Pacifica (l’assureur) un contrat d’assurance garantissant les accidents de la vie, a été victime d’une chute alors qu’il élaguait un arbre situé sur sa propriété.

2. Ayant refusé la proposition d’indemnisation de l’assureur, il l’a assigné en paiement des indemnités dues au titre du contrat.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. Y… fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande tendant à l’indemnisation par l’assureur de son préjudice relatif à la diminution de ses droits à la retraite, alors « qu’en application des articles 4, 5 et 12 du code de procédure civile, une cour d’appel ne peut, sans méconnaître son office, s’abstenir de statuer sur la demande dont elle est saisie ; qu’il en résulte que, dès lors qu’elle a constaté l’existence en son principe d’un préjudice, notamment de perte de droits à la retraite, elle ne peut refuser d’évaluer ce préjudice au prétexte qu’elle ne dispose pas d’élément chiffré suffisant pour en permettre l’évaluation ; qu’en l’espèce, les juges d’appel ont expressément constaté que M. Y… avait subi une perte de gains professionnels de 95 185,07 euros correspondant à ce qu’il aurait perçu en continuant à travailler jusqu’à 65 ans, âge de la retraite ; qu’en déboutant pourtant M. Y… de sa demande d’indemnisation de la diminution en conséquence de ses droits à la retraite, au seul motif de l’absence de toute projection de carrière et de toute pièce produite sur sa situation lors de l’arrêt de son activité professionnelle et sur sa situation postérieure, autrement dit, des éléments permettant l’évaluation de ce chef de préjudice, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 4 du code civil :

4. Il résulte de ce texte que le juge ne peut refuser de statuer sur une demande dont il admet le bien-fondé en son principe, au motif de l’insuffisance des preuves fournies par une partie.

5. Pour rejeter la demande formée par M. Y… au titre de la perte de droits à la retraite incluse dans le poste incidence professionnelle, et condamner l’assureur à lui payer la somme de 117 670,07 euros en réparation de ce poste de préjudice, l’arrêt énonce qu’en l’absence de toute projection de carrière, de toute pièce produite sur sa situation lors de l’arrêt de son activité professionnelle de nature à déterminer la différence entre la retraite qu’il aurait dû percevoir si le dommage n’avait pas eu lieu et celle qu’il percevra réellement, M. Y… ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice relatif à une diminution de ses droits à retraite et sera débouté de sa demande.

6. En statuant ainsi, alors qu’elle relevait que M. Y…, âgé de 55 ans au […], fin de la période de perte de gains professionnels indemnisée, était en suspension de contrat pour longue maladie, avait obtenu depuis le 1er mars 2010 un titre de pension d’invalidité de catégorie 2 correspondant à une incapacité totale d’exercer une profession quelconque, ne percevait plus de salaire depuis le 1er juillet 2010 et retenait qu’il avait subi une perte de gains jusqu’à l’âge de 65 ans auquel il aurait pris sa retraite si l’accident ne s’était pas produit, ce dont il résultait, en l’absence d’éléments contraires, qu’il avait nécessairement subi une diminution de ses droits à la retraite, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres énonciations et a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 décembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Lyon autrement composée ;

Condamne la société Pacifica aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Pacifica et la condamne à payer à M. Y… la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille vingt et un et signé par lui et Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux articles 452 et 456 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour M. Y…

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté M. Y… de sa demande tendant à l’indemnisation par la compagnie Pacifica de son préjudice relatif à la diminution de ses droits à la retraite,

AUX MOTIFS QU’
Au […], fin de la période de la perte de gains professionnels indemnisée, M. Y… était âgé de 55 ans ;

Que le tribunal a retenu une perte de gains annuels moyenne de 10 378,92 euros, montant non utilement contesté par la société Pacifica ;

Qu’il a, à juste titre, par une motivation adoptée, retenu une perte de gains de 95 185, 07 euros correspondant à ce que M. Y… aurait perçu en continuant à travailler jusqu’à 65 ans, âge de la retraite, étant observé que la société Pacifica offre une somme de 10 000 euros au titre de l’incidence professionnelle eu égard à la pénibilité de M. Y… retenue à l’exercice de sa profession ;

Que la décision lui ayant alloué la somme de 95 185,07 euros sera confirmée ;

Que le 1er mars 2010 lui a été délivré un titre de pension d’invalidité catégorie 2, attribuée à titre temporaire et susceptible d’être révisée en raison de l’évolution possible de son état de santé ;

Que M. Y… produit une attestation datée du 4 février 2011, émanant de son employeur, la société Wella France, aux termes de laquelle cette société indique qu’il est en suspension de contrat pour longue maladie et ne perçoit plus de salaire depuis le 1er juillet 2010 ;

Que, s’il ne produit aucune autre pièce sur la cessation de son contrat de travail et sur un licenciement éventuel survenu pour inaptitude, la cour observe néanmoins que la catégorie 2 correspond à une incapacité totale d’exercer une profession quelconque ;

Que M. Y… n’a donc pas à justifier de la recherche d’un emploi ;

Qu’en revanche, la société Pacifica conclut à juste titre que M. Y… ne produit aucun justificatif sur sa situation professionnelle de nature à déterminer la différence entre la retraite qu’il aurait dû percevoir si le dommage n’avait pas eu lieu et celle qu’il percevra réellement ;

Qu’en l’absence de toute projection de carrière, de toute pièce produite sur sa situation lors de l’arrêt de son activité professionnelle et sur sa situation postérieure, M. Y… ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice relatif à une diminution de ses droits à retraite ;

Qu’il sera débouté de sa demande,

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QU’

En ce qui concerne la période postérieure au […] M. Y… réclame l’allocation d’une indemnité de 290.089,80 euros en se fondant, outre sur une perte de revenus professionnels de 1078 euros par mois, sur un calcul à titre viager et sur l’application du barème proposé par la revue Gazette du Palais de 2013 ;

Qu’il convient en premier lieu d’observer que selon les calculs qui précèdent, la perte mensuelle moyenne de gains professionnels subie par M. Y… doit être fixée à la somme de 864,91 euros, et non pas à celle de 1078 euros par mois ;

Que la compagnie PACIFICA conteste par ailleurs le calcul à titre viager en soutenant que ce mode de calcul équivaut à indemniser une perte sur les droits à la retraite qui ne constitue pas un poste de préjudice contractuellement garanti ;

Que l’incidence professionnelle indemnisée aux termes des conditions générales du contrat d’assurance correspond au « retentissement définitif sur l’activité professionnelle entraînant une perte de revenus ou un changement d’emploi » ;

Qu’en vertu de cette définition, seules les conséquences affectant directement l’activité professionnelle peuvent donner lieu à indemnisation, de sorte que ne peuvent être pris en compte l’impact de l’accident sur le montant du droit à la retraite ; qu’il s’ensuit que le calcul à titre viager opéré par M. Y… ne peut être validé ;

Qu’aux termes de ses dernières écritures, la compagnie PACIFICA propose de capitaliser les pertes de revenus futures de M. Y… jusqu’à ses 65 ans ;

Qu’à la date du […] qui, selon les écritures des parties, marque la fin de la période de perte de gains professionnelle déjà indemnisée, M. Y… était âgé de 55 ans ; que sa perte de gains annuelle moyenne était alors de 10.378,92 euros (864,91 euros x 12) ;

Que par application du barème de la Gazette du Palais publié en 2013, lequel sera retenu en dépit des contestations sur ce point argumentées par la Compagnie PACIFICA, dès lors qu’il prend en compte le sexe, l’âge , les dernières statistiques de l’INSEE en matière d’espérance de vie et un taux d’intérêt de 1,2% conforme à la réalité de la rentabilité actuelle des placements financiers, la perte de gains professionnels future capitalisée jusqu’à l’âge de 65 ans doit être évaluée à la somme de 95.185, 07 euros ;

Que par conséquent, au titre de l’incidence professionnelle telle que définie par les stipulations contractuelles, il sera alloué à M. Y… la somme totale de 114.213,12 euros (19.028,05 + 95.185,07 euros) ;

ALORS QU’en application des articles 4, 5 et 12 du code de procédure civile, une cour d’appel ne peut, sans méconnaître son office, s’abstenir de statuer sur la demande dont elle est saisie ; qu’il en résulte que, dès lors qu’elle a constaté l’existence en son principe d’un préjudice, notamment de perte de droits à la retraite, elle ne peut refuser d’évaluer ce préjudice au prétexte qu’elle ne dispose pas d’élément chiffré suffisant pour en permettre l’évaluation ; qu’en l’espèce, les juges d’appel ont expressément constaté que M. Y… avait subi une perte de gains professionnels de 95.185,07 euros correspondant à ce qu’il aurait perçu en continuant à travailler jusqu’à 65 ans, âge de la retraite ; qu’en déboutant pourtant M. Y… de sa demande d’indemnisation de la diminution en conséquence de ses droits à la retraite, au seul motif de l’absence de toute projection de carrière et de toute pièce produite sur sa situation lors de l’arrêt de son activité professionnelle et sur sa situation postérieure, autrement dit, des éléments permettant l’évaluation de ce chef de préjudice, la cour d’appel a violé les textes susvisés.