DOMMAGE CORPOREL : ETAT ANTERIEUR ET CHOC PSYCHOLOGIQUE IMPUTABLE

DOMMAGE CORPOREL : ETAT ANTERIEUR ET CHOC PSYCHOLOGIQUE IMPUTABLE

Cass, Crim, 14 octobre 2020, n°19-84.530

 » (…) Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement en date du 4 janvier 2017, le tribunal correctionnel a déclaré Mme C… L… coupable de menaces de mort aggravées à l’encontre de Mme Q… T…, enseignante à l’école primaire […], et l’a condamnée au paiement d’une amende de 500 euros.

3. Sur l’action civile, il a déclaré la constitution de partie civile de cette dernière recevable, et a condamné Mme L… à lui payer la somme de 250 euros en réparation du préjudice corporel, le jugement étant déclaré opposable à la MGEN et à l’agent judiciaire de l’État.

4. Mme T… a interjeté appel le 6 janvier 2017 du jugement en son seul dispositif civil ; l’agent judiciaire de l’Etat a également interjeté appel dans les mêmes limites.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a condamné Mme L… à verser à Mme Q… T… la seule somme de 250 euros en réparation de son préjudice corporel, alors :

« 1°/ que la réparation du préjudice doit être intégrale, sans qu’il en résulte ni perte ni profit pour la victime et que le droit de la victime d’une infraction à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique, lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que du fait de l’infraction ; que pour rejeter la demande de condamnation de Mme L… à verser la somme de 5 000 euros de provision pour réparation de son préjudice corporel et réduire son droit à indemnisation à la somme de 250 euros, la cour d’appel a énoncé que, selon certificat du 28 août 2017 établi par le M. Q… X…, médecin psychiatre traitant de l’appelante, Mme T… présentait préalablement aux faits « une dépression récurrente, une anxiété importante » et que, selon le certificat médical en date du 17 août 2015 établi par le même médecin, « cet évènement est intervenu alors que Mme T… présentait un état de fatigue, dû à des problématiques professionnelles et personnelles » et en a déduit qu’il ne peut être établi un lien de causalité suffisamment certain et direct entre l’état de panique post-traumatique décrit par la victime et les menaces de mort proférées par Mme L… ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 1240 du code civil, le principe de la réparation intégrale, les articles préliminaire, 2, 3, 591, et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu’en énonçant, qu’il ne peut être établi un lien de causalité suffisamment certain et direct entre l’état de panique post-traumatique décrit par la victime et les menaces de mort proférées par Mme L…, tout en jugeant, d’autre part, que le préjudice de Mme T… devait être réparée, la cour d’appel a statué par des motifs contradictoires en violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 1240 du code civil, du principe de la réparation intégrale, des articles préliminaire, 2, 3, 591, et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil ;

12. Selon ces textes, il appartient aux juridictions du fond de réparer dans son intégralité et sans perte ni profit, dans la limite des conclusions des parties, le préjudice résultant de la déclaration de culpabilité de l’auteur du dommage.

13. Pour condamner Mme L… à payer à Mme T… la somme de 250 euros en réparation de son préjudice corporel, l’arrêt retient que le lien de causalité entre l’état de panique post-traumatique décrit dans ses conclusions par la victime et les menaces de mort proférées une seule fois par une mère d’élève s’estimant incomprise, hors la présence de l’intéressée et rapportées dans la soirée des faits par des collègues, ne peut être établi de manière suffisamment certaine et directe pour justifier une expertise judiciaire psychiatrique et l’allocation d’une provision.

14. Ils ajoutent que la mère d’élève a été reçue calmement par le directeur de l’établissement dans les suites immédiates des menaces et a accepté, à la demande de ce dernier, que son fils retourne dans la classe de l’enseignante.

15. Ils retiennent que les seuls propos rapportés à l’enseignante le soir des faits par ces collègues et par le directeur de l’école ne peuvent être considérés comme générateurs du « choc psychologique immense » allégué par l’appelante, ayant entraîné un arrêt de travail continu de plus d’un an de l’enseignante puis un congé de longue maladie pour les mêmes raisons jusqu’en septembre 2016.

16. Ils concluent en conséquence que le tribunal a jugé à bon droit que le préjudice devait être réparé à sa juste mesure par l’allocation de la somme de 250 euros.

17. En se déterminant ainsi, et dès lors que le droit de la victime à obtenir indemnisation de son préjudice ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection a été provoquée ou révélée par le fait dommageable, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés.

18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Nîmes en date du 23 mai 2019, mais en ses seules dispositions ayant confirmé le jugement entrepris et rejeté les autres demandes, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Nîmes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE, l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze octobre deux mille vingt ».