DETENTION ET AUTORISATION DE SORTIE : Interdiction de sortie de prison d’une terroriste pour assister aux funérailles de son père (CEDH, 11 avr. 2019, n° 48798/14, Guimon c/ France)

DETENTION ET AUTORISATION DE SORTIE : Interdiction de sortie de prison d’une terroriste pour assister aux funérailles de son père (CEDH, 11 avr. 2019, n° 48798/14, Guimon c/ France)

La requérante, membre active de l’ETA jusqu’à son arrestation en 2003, fut condamnée à trois peines de réclusion criminelles, principalement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, recel de biens obtenus par extorsion en bande organisée, détention et transport d’armes, de substance ou engin explosif en relation avec une entreprise terroriste.

La demande de l’avocat de la requérante de sortie sous escorte, pour qu’elle puisse se rendre au chevet de son père décédé le jour-même fut rejetée au motif que si le décès pouvait constituer un motif de sortie sous escorte, la demande devait s’apprécier au regard de la personnalité de l’intéressée et des risques d’évasion. Décision confirmée en appel et rejet du pourvoi en cassation.

La Cour rappelle que la détention, comme toute autre mesure privative de liberté, entraîne par nature une restriction à la vie privée et familiale de l’intéressé. Il est cependant essentiel au respect de la vie familiale que l’administration pénitentiaire autorise le détenu et l’aide au besoin à maintenir le contact avec sa famille proche. La Cour rappelle en même temps qu’un certain contrôle des contacts des détenus avec le monde extérieur est recommandé et qu’il ne se heurte pas en soi à la Convention. En outre, le droit de bénéficier d’autorisations de sortie n’est pas garanti en tant que tel par la Convention. En effet, l’article 8 de la Convention ne garantit pas aux personnes détenues un droit de sortie et la Cour a observé à maintes reprises que la mise en place d’un système d’autorisation n’est pas critiquable en soi. Il n’est pas contesté en l’espèce que le refus opposé à la requérante de l’autoriser à sortir de prison sous escorte pour se rendre au funérarium et se recueillir sur la dépouille de son père constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention.

Pareille ingérence n’enfreint pas la Convention, si elle est prévue par la loi, vise au moins un but légitime au regard du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention et peut passer pour une mesure nécessaire dans une société démocratique.

La Cour relève que le refus d’autorisation de sortie sous escorte en cause était prévu par la loi, à savoir l’article 723-6 du Code de procédure pénale, et que les questions des risques d’évasion et de troubles à l’ordre public sont inhérentes à la sortie temporaire, prévue à titre exceptionnelle, avec ou sans escorte, d’un détenu condamné. Sauf en cas d’urgence, la décision concernant une demande d’autorisation de sortie sous escorte est prise après avis de la commission de l’application des peines. La Cour estime que les motifs possibles de refus qui pouvaient être opposés à un condamné, telle la requérante, étaient suffisamment prévisibles.

Elle considère en outre que l’ingérence, qui avait pour but de prévenir les risques d’évasion et de troubles à l’ordre public, visait à garantir la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales.

Quant à la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, la Cour relève qu’en l’espèce les autorités judiciaires, tant en première instance qu’en appel, ont examiné avec diligence la demande de la requérante et ont jugé que le décès du père de la requérante constituait un motif exceptionnel pouvant justifier une autorisation de sortie sous escorte. La conseillère à la chambre de l’application des peines a en outre pris en compte le fait que la requérante n’avait pas revu son père depuis 2009 pour considérer que sa demande se justifiait sur le plan humain.

Elle note que les autorités ont toutefois rejeté la demande de la requérante en raison, d’une part, de son profil pénal, puisqu’elle purgeait plusieurs peines de prison pour des actes de terrorisme et continuait de revendiquer son appartenance à l’organisation ETA, et, d’autre part, de l’impossibilité de mettre en place une escorte renforcée dans le délai imparti.

La Cour constate qu’aucune alternative à une sortie sous escorte ne pouvait être envisagée dans les circonstances de l’espèce pour satisfaire la demande de la requérante et que si la requérante n’avait pas revu son père depuis 2009, elle avait bénéficié régulièrement de visites de la part des membres de sa famille et d’amis, comme le soutient le Gouvernement.

Partant, la Cour considère que les autorités judiciaires ont procédé à une mise en balance des intérêts en jeu, à savoir, d’une part, le droit de la requérante au respect de sa vie familiale, et, d’autre part, la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales.

Elle considère que l’État défendeur n’a pas dépassé la marge d’appréciation dont il jouit dans ce domaine.

Dans les circonstances de l’espèce, le refus opposé à la requérante de sortir de prison sous escorte, pour se rendre au funérarium et se recueillir sur la dépouille de son père, n’était pas disproportionné aux buts légitimes poursuivis.

Texte intégral de l’arrêt en cliquant ici : https://hudoc.echr.coe.int/eng#{« itemid »:[« 001-192218 »]}

https://www.christian-finalteri-avocat.fr/avocat-bastia/cabinet-avocat-actualites/droit-penal.html