BAIL : LA SOCIETE PROPRIETAIRE-BAILLEUR N’AVAIT PU PRENDRE CONNAISSANCE DES TROUBLES DU COMPORTEMENT DE SON INTERLOCUTEUR EN PROFITANT DE LA SITUATION POUR LE FAIRE SIGNER

Rétention administrative et prorogation

BAIL : LA SOCIETE PROPRIETAIRE-BAILLEUR N’AVAIT PU PRENDRE CONNAISSANCE DES TROUBLES DU COMPORTEMENT DE SON INTERLOCUTEUR EN PROFITANT DE LA SITUATION POUR LE FAIRE SIGNER

Cour d’appel de Lyon, 1re chambre civile A, 4 mars 2021, RG n° 20/03991

Monsieur B. assisté de sa curatrice soutient que ses demandes indemnitaires sont fondées à titre principal sur la responsabilité délictuelle et à titre subsidiaire sur la responsabilité contractuelle de la société Ambiance Villeurbanne, dans la rédaction des dispositions légales antérieures à la réforme de 2016.

Il ajoute que cette dernière a insisté pour lui faire signer le bail du 18 août 2014 alors qu’il était atteint d’insanité d’esprit ; que cet état était très apparent, établi par les nombreuses attestations et certificats médicaux qu’il produit et que la bailleresse ne pouvait l’ignorer au regard de la chronologie des faits et de son comportement (précipitation, insistance, mise à l’écart du notaire rédacteur, utilisation d’un prétexte fallacieux) ; que le contenu même de l’acte révélait cet état en ce qu’il avantageait considérablement la société Ambiance Villeurbanne à son détriment, situation lui ayant occasionné de graves préjudices qui ne sont pas réparés par la seule annulation du bail.

La société Ambiante Villeurbanne fait valoir quant à elle que sa responsabilité ne peut être recherchée par Monsieur B. sur le fondement contractuel en l’absence de tout contrat conclu entre elle et ce dernier ; elle prétend n’avoir jamais profité, sciemment ou pas, de l’état de santé de Monsieur B. contrairement à ce qu’a retenu à tort le premier juge, les pièces produites aux débats se trouvant dépourvues de toute force probante à établir une faute de ce chef à son encontre.

Elle ajoute qu’aucun lien de causalité n’est au surplus démontré entre cette prétendue faute et le préjudice allégué par l’intéressé qui ne démontre nullement notamment avoir perdu son logement et ne justifie en rien de l’augmentation de loyer qu’il invoque seulement en cause d’appel pour tenter de justifier un préjudice financier inexistant.

En application des dispositions des articles 1165 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et 1382 du Code civil devenu 1240, le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

Le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre le manquement contractuel et le dommage qu’il subit, n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement.

Le Tribunal de grande instance de Lyon dans son jugement du 5 avril 2016, confirmé en cela par la Cour d’appel de Lyon aux termes de son arrêt du 23 octobre 2018 non atteint par la cassation sur ces points, a définitivement prononcé la nullité du bail commercial du 18 août 2014 conclu entre la société Ambiance Villeurbanne et la société Next et la nullité de la résiliation du bail d’habitation conclu entre la société Amsa aux droits de laquelle vient la société Ambiance Villeurbanne et Monsieur B., et débouté la société Next de sa demande tendant à obtenir le versement d’une somme de 10.000 EUR en réparation du préjudice tiré de la manipulation dont aurait fait l’objet son gérant par la bailleresse qui aurait profité de l’insanité d’esprit de celui-ci.

Monsieur B. a été débouté par le premier juge de sa demande tendant à être lui aussi indemnisé du préjudice moral qu’il aurait subi, le juge retenant qu’aucun élément n’établissait que la société Ambiance Villeurbanne avait sciemment profité de l’insanité mentale de l’intéressé pour lui faire signer le bail litigieux d’août 2014 et qu’aucun comportement fautif n’était donc démontré à son encontre.

Si le nouveau bail commercial conclu en août 2014, incluant la location de locaux d’habitation antérieurement donnés à bail à Monsieur B. dans le cadre de la loi de 1989, a été annulé par le juge, ce n’est pas en considération du dol ou d’un manquement contractuel du bailleur mais seulement au vu de l’insanité d’esprit du représentant de la société Next, laquelle exploitait le fonds de commerce de restauration dans le local du rez-de-chaussée.

Il appartient dès lors à monsieur B. de démontrer l’existence d’un manquement contractuel de la société bailleresse et d’un lien de causalité entre ce manquement et le dommage qu’il prétend avoir subi.

La consultation de maître G. du 24 novembre 2015, avocat spécialisé en matière de baux commerciaux, adressée à la société Next, qui dénonce certaines ‘anomalies apparentes’, rappelle selon son auteur, les conditions d’une sous-location régulière et critique le régime juridique du nouveau bail applicable à la sous-location des appartements, ne suffit pas, en ce qu’elle ne constitue qu’un avis spécialisé unilatéral, contesté par la bailleresse dans sa véracité, à démontrer que la société Ambiance Villeurbanne a ainsi profité de la vulnérabilité du gérant de la société Next.

Le courrier adressé par maître V., notaire, au conseil de la société Ambiance Villeurbanne le 29 janvier 2016, qui indique que si la signature du bail commercial au profit de l’intéressé n’a pu être faite comme prévu le 8 août 2014, jour de l’acquisition de l’immeuble par cette dernière, c’est seulement en raison d’un empêchement de monsieur B. qu’il n’a dès lors jamais rencontré ; il n’est donc nullement établi, comme le soutient monsieur B. assisté de sa curatrice, que le notaire qui a rédigé le projet de bail a été évincé par la société Ambiance Villeurbanne.

S’il est par ailleurs établi, ainsi que l’a retenu le tribunal dans son jugement du 5 avril 2016, par l’ensemble des pièces médicales et les nombreuses attestations produites au dossier, émanant toutes de membres de sa famille ou de personnes proches telles que les salariés de l’entreprise qu’il dirigeait, que le comportement de monsieur B. avait changé depuis l’été 2014 et qu’il souffrait d’un trouble mental au moment de la signature du bail commercial et de la résiliation de son bail d’habitation le18 août 2014, aucun élément ne démontre pour autant que la société Ambiance Villeurbanne a profité de l’insanité d’esprit de ce dernier pour lui faire signer ces actes ; il n’est pas contestable en effet que les attestants sont des personnes qui connaissaient monsieur B. depuis longtemps, le cotoyaient au quotidien et entretenaient avec lui des liens affectifs certains, leur permettant de constater dans le temps, une dégradation de l’état de santé mentale de ce dernier ; que tel ne pouvait avoir été le cas du représentant de la société Ambiance Villeurbanne, nouveau propriétaire des lieux depuis seulement le 8 août 2014, et qui n’avait pu rencontrer l’intéressé avant la signature de l’acte litigieux du 18 août suivant, que ponctuellement.

Aucun élément du dossier ne permet donc à la cour de constater que la société Ambiance Villeurbanne avait pu prendre connaissance des troubles du comportement de son interlocuteur en profitant de la situation pour lui faire signer le nouveau bail.

La seconde attestation établie par madame Fetta B., sa curatrice, qui est également sa soeur, rédigée en vue de l’instance d’appel qu’elle a initiée avec le majeur protégé, qui retrace les difficultés sociales et relationnelles rencontrées par l’intéressé du fait de sa maladie mentale, ne permet pas plus de démontrer que la bailleresse aurait profité de cette situation pour faire signer au preneur un nouveau bail à des conditions très désavantageuses comme le soutiennent aujourd’hui les appelants.

En l’absence de tout manquement contractuel de la société Ambiance Villeurbanne, la responsabilité de cette dernière ne saurait être engagée.