ADMINISTRATION DE LA PREUVE : L’affaire dite Roi du Maroc devant l’assemblée plénière (Cass. ass. plén., 10 nov. 2017, n° 17-82028)

Donation en fraude du preneur

ADMINISTRATION DE LA PREUVE : L’affaire dite Roi du Maroc devant l’assemblée plénière (Cass. ass. plén., 10 nov. 2017, n° 17-82028)

La jurisprudence constante de la chambre criminelle considère que le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, qui ne trouve pas à s’appliquer lorsque des preuves sont produites en justice par des personnes privées, s’impose aux autorités publiques chargées de l’instruction et des poursuites.

L’Assemblée plénière, saisie après une cassation et un nouveau rejet de demande d’annulation des actes de poursuite pour déloyauté de la preuve, juge que le principe de la loyauté de la preuve n’a pas été méconnu.

Les juges du fond disposent ainsi d’une marge d’appréciation au regard des circonstances de l’espèce, le contrôle de la Cour de cassation s’apparentant, dans une certaine mesure, à celui de « l’erreur manifeste d’appréciation ».

Un avocat, agissant au nom du Royaume du Maroc, dénonce au procureur de la République des faits de chantage et d’extorsion de fonds en joignant à sa plainte l’enregistrement d’une conversation qui s’est déroulée entre le représentant de cet État et l’auteur d’un livre paru en 2012 sous le titre « Le Roi prédateur », conversation au cours de laquelle cet auteur aurait sollicité le paiement d’une somme d’argent contre la promesse de ne pas publier un nouvel ouvrage consacré au souverain marocain. Au cours de l’enquête préliminaire ouverte sur ces faits, le représentant de l’État produit l’enregistrement d’une nouvelle conversation qu’il vient d’avoir avec l’auteur, en un lieu placé sous la surveillance des enquêteurs, qui en ont par ailleurs retranscrit la teneur sur procès-verbal. Après ouverture d’une information judiciaire, ce même représentant informe les enquêteurs qu’un nouveau rendez-vous a été pris avec l’auteur, lequel se déroule en un lieu également placé sous surveillance policière. À l’issue de la conversation, enregistrée par le représentant, des sommes d’argent sont remises par ce dernier au journaliste et sa consœur présente, qui sont alors interpellés, les enquêteurs retranscrivant l’enregistrement sur procès-verbal. Mis en examen des chefs de chantage et extorsion de fonds les journalistes saisissent la chambre de l’instruction de deux requêtes en nullité notamment des procès-verbaux de retranscription des enregistrements et des actes subséquents.

La cour d’appel retient qu’il apparaît légitime, de la part d’une victime ayant déposé plainte pour chantage et extorsion de fonds, d’informer les enquêteurs de l’avancement des démarches de ceux auxquels elle prête des agissements répréhensibles, que les services de police et les magistrats, saisis d’une telle plainte, se devaient d’intervenir pour organiser les surveillances de nature à confirmer ou infirmer les dires du plaignant et, si nécessaire, interpeller les auteurs. Elle retient aussi qu’on ne saurait déduire de l’existence d’une présence policière aux abords de l’hôtel où ont eu lieu les rencontres, un accord préalable et concerté des enquêteurs avec le représentant de l’État marocain sur les enregistrements clandestins effectués et qu’au demeurant, lors de ces surveillances, les policiers se trouvaient à l’extérieur de l’établissement et n’étaient pas à même de constater les manœuvres de celui-ci tendant aux enregistrements clandestins avec son téléphone portable. Que, certes, il a adressé ses enregistrements aux policiers dans un délai très bref après chaque rencontre, mais que ce simple constat est dépourvu de toute portée quant au rôle actif susceptible d’être prêté aux enquêteurs par les mis en examen et qu’il en va de même de la transcription par les policiers des deux enregistrements puisque cette tâche a été accomplie après les deux rendez-vous litigieux et ne saurait être retenue à faute. Que le représentant de l’État marocain qui, selon la partie civile, a mis à profit les suspensions de négociations pour se faire apporter les sommes d’argent nécessaires, pouvait, de manière tout à fait légitime, en profiter pour informer les enquêteurs de l’avancement des pourparlers et qu’en conséquence, la preuve n’est pas rapportée de l’existence d’une collusion entre lui et les services enquêteurs tendant à faire prendre en charge par le premier les enregistrements litigieux. Que, si les policiers pouvaient raisonnablement se douter de l’enregistrement de la troisième rencontre, compte tenu de la connaissance qu’ils avaient de son enregistrement clandestin du deuxième rendez-vous, rien ne permet d’affirmer qu’ils avaient connaissance de cette intention dès la deuxième rencontre et que le concept de « participation », même indirecte, suppose l’accomplissement, par les enquêteurs d’un acte positif, si modeste soit-il. Que le seul reproche d’un « laisser faire » des policiers, dont le rôle n’a été que passif, ne peut suffire à caractériser un acte constitutif d’une véritable implication.

La chambre de l’instruction peut en déduire l’absence de participation directe ou indirecte de l’autorité publique à l’obtention des enregistrements litigieux, ce dont il résulte que le principe de la loyauté de la preuve n’a pas été méconnu.

Texte intégral de l’arrêt ici : https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/notes_explicatives_7002/roi_maroc_38015.html

https://www.christian-finalteri-avocat.fr/avocat-bastia/cabinet-avocat-actualites/droit-penal.html