VIOLENCES CONJUGALES : La lutte s’intensifie (TA AN, n° 2398 , 2019-2020)

Contrôle judiciaire et saisine du juge

VIOLENCES CONJUGALES : La lutte s’intensifie (TA AN, n° 2398 , 2019-2020)

Les annonces se succèdent pour améliorer la lutte contre les violences conjugales.

Point sur le rapport rendu sur les homicides conjugaux, le Grenelle contre les violences faites aux femmes et la proposition de loi actuellement étudiée au Parlement.

En mai 2019, la garde des Sceaux a publié une circulaire relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes. Dans ce contexte, elle avait précisé vouloir « réaffirmer le caractère prioritaire de lutte contre les violences conjugales » (Circ. 9 mai 2019, JUSD1913750C).

« C’est un sujet grave que la justice doit prendre à bras le corps » déclarait la ministre de la Justice lors d’un colloque organisé sur la lutte contre les violences au sein du couple le 15 novembre dernier.

Le premier Grenelle contre les violences conjugales s’est tenu le 3 septembre dernier. Dix mesures d’urgence avaient été annoncées, dont un dispositif anti-rapprochement ou encore la possibilité de déposer plainte dans les hôpitaux.

Pour avancer concrètement, un rapport de l’inspection générale de la justice (IGJ) sur les homicides conjugaux a été publié le 17 novembre. « L’IGJ avait pour mission de procéder à un état des lieux portant sur les dossiers, jugés définitivement à ce jour, concernant des faits d’homicides liés à des violences conjugales commis durant les années 2015 et 2016 » précise le communiqué de presse du ministère de la Justice. Son objectif : « mieux appréhender, dans sa globalité, le traitement judiciaire et d’améliorer les procédures et les dispositifs mis en œuvre dans les cas de violence au sein du couple, afin de mieux protéger les victimes et de lutter plus efficacement contre la réitération d’actes de violences de la part des auteurs ». Au total, ce sont 88 dossiers criminels communiqués par les cours d’appel qui ont été analysés.

De ce rapport sont nées 24 recommandations que Nicole Belloubet « s’engage à mettre en œuvre » conclut le rapport. Lors du colloque organisé à la Cour de cassation sur la lutte contre les violences au sein du couple, la garde des Sceaux le confirmait, précisant qu’elle en tirerait « toutes les conséquences afin d’améliorer le traitement judiciaire de ces affaires, des conséquences à la fois normatives mais aussi des conséquences dans les évolutions de nos pratiques ».

Les chiffres clés du rapport

– 52 % des homicides conjugaux se produisent la nuit ;
– 35 % des faits sont portés à la connaissance des forces de l’ordre par l’auteur, 24% par le voisinage et 20 % par le cercle familial ou amical ;
– Dans 41 % des dossiers, des violences antérieures ont déjà été dénoncées aux forces de l’ordre, dans 22 % jamais dénoncées et dans 37 % aucune violence antérieure ;
– 85 % des homicides conjugaux sont commis par des hommes et 83 % des victimes sont des femmes ;
– 68 % des agressions ont été commises avec une arme ;
– 30 % des auteurs ont déjà été condamnés pour des faits de violence ;
– 15 % des auteurs ont déjà été condamné pour des faits de violences conjugales, sachant que la victime est la même dans 77 % des cas ;
– Dans 47 % des cas, des enfants étaient présents au domicile le jour des faits ;
– Les condamnations se composent pour 83 % de peines de réclusion criminelle et 17 % de peines d’emprisonnement ;
– L’obligation de soins est prononcée dans 18 % des cas.
Mission sur les homicides conjugaux, oct. 2019

Le 25 novembre, pour la clôture du Grenelle contre les violences conjugales, Edouard Philippe a souhaité dans son discours « saluer la publication le 17 novembre dernier, du rapport – glaçant – de l’inspection générale de la Justice sur les homicides conjugaux ». Précisant qu’il « pointe des dysfonctionnements majeurs ».

Il en a profité pour annoncer 30 nouvelles mesures en plus de celles d’urgences de septembre dernier. Tout en rappelant la proposition de loi « violences au sein de la famille », pour laquelle une commission mixte paritaire a été convoquée le 12 novembre 2019.

Des mesures qui concernent tous les acteurs de la chaîne, des médecins aux magistrats en passant par toutes les forces de l’ordre.

La levée du secret médical dans certains cas bien identifiés

L’un des points mis en avant par le rapport de la mission sur les homicides conjugaux est le signalement, car bien souvent un médecin a été amené à intervenir dans le parcours des victimes. « L’analyse des situations permet d’établir qu’une dizaine de victimes de violences conjugales avaient auparavant consulté des services médicaux ou étaient suivies par un médecin libéral » précise le rapport. Néanmoins, « les interventions se limitaient la plupart du temps au seul motif médical de la consultation ».

Le rapport propose alors une formation « indispensable » aux médecins généralistes ou hospitaliers, sans savoir si cette disposition va devenir obligatoire ou non. Mais surtout, « le refus de signalement de sa situation, fréquemment opposé par la victime de violences conjugales au médecin, ne doit plus constituer un obstacle à l’information des services enquêteurs ».

Aujourd’hui, le médecin ne peut signaler des violences sans l’accord de la victime. Il est soumis au secret médical prévu à l’article 226-13 du Code pénal. Par exception, l’article suivant précise que le médecin, ou professionnel de santé, peut signaler des faits de violences physiques, sexuelles ou psychiques qu’il peut présumer sur la base d’éléments, uniquement « avec l’accord de la victime ».

L’une des recommandations du rapport est donc de « modifier l’article 226-14 du Code pénal pour permettre à tout professionnel de santé de signaler les faits même en cas de refus de la victime ».

Cette proposition a retenu l’attention du le Gouvernement. Edouard Philippe a précisé le 25 novembre 2019 qu’il fallait, « lorsque cela peut sauver des vies, offrir la possibilité aux médecins de déroger au secret médical ». Pour autant, « je souhaite que, a-t-il poursuivi,cela concerne des cas très stricts, encadrés : les cas d’urgence absolue où il existe un risque sérieux de renouvellement de violence ». Concrètement la levée du secret médical serait possible :

  • en cas de danger immédiat pour la victime ;
  • en cas de risque avéré de renouvellement des violences.

Une concertation avec les professionnels a déjà commencé, a annoncé le Premier ministre. Professionnels qui sont d’ailleurs divisés sur ce délicat sujet.

Une cellule de veille dans les juridictions pour assurer la coordination

Le rapport sur les homicides conjugaux pointe du doigt les lacunes au niveau de l’organisation du traitement des affaires de violences conjugales, qui « nécessite une organisation au sein des juridictions permettant une articulation des différents processus judiciaires ».

La recommandation de la mission est de créer une cellule de veille dans les juridictions, exclusivement consacrée aux violences conjugales. Les magistrats en charge de situations conjugales ou familiales dégradées (parquet, siège correctionnel, juge de l’application des peines, juge des enfants et juge aux affaires familiales) pourront échanger sur des situations individuelles pour mieux organiser la prise en charge des victimes.

Une faille également soulevée par la garde des Sceaux, « ce qui me paraît essentiel c’est de mieux travailler ensemble. Il nous faut défragmenter le travail de nos services. Il faut une plus grande fluidité » a ainsi soulevé Nicole Belloubet lors du colloque organisé à la Cour de cassation relatif à la lutte contre les violences au sein du couple.

Un meilleur suivi des auteurs de violence

« L’examen des dossiers confirme que les homicides sont majoritairement précédés de violences conjugales dont certaines légères » indique le rapport. Il appelle donc à une réponse pénale systématique. Concrètement, la recommandation de la mission est d’« inviter les parquets à donner une réponse pénale dès le premier fait, à systématiser les stages de sensibilisation aux violences conjugales, ou à recourir à une mesure d’éviction de courte durée de l’auteur assortie d’une prise en charge psychologique dans le cadre d’un rappel à la loi ou d’une composition pénale ».

En outre, le mis en cause devra être systématiquement entendu par les services d’enquête, peu important l’issue de la procédure.

L’autre point d’action, c’est le renforcement du suivi de proximité des personnes condamnées qui maintiennent le contact avec la victime, malgré une interdiction. Pour la mission, il faudrait « systématiser, en cas de violation des interdictions de contact avec la victime, le recours au placement sous surveillance électronique dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve ou d’une mesure d’aménagement de peine ».

Vers une augmentation du recours à l’ordonnance de protection

Dans le même objectif, une autre recommandation porte sur le développement de l’ordonnance de protection. Rappelons que l’ordonnance de protection permet au juge aux affaires familiales de prononcer un ensemble de mesures civiles et de protection immédiate à l’égard des victimes supposées de violences conjugales, et ce, même en l’absence de dépôt de plainte ou de procédure pénale engagée. Le non-respect de cette mesure est constitutif d’une infraction pénale. Il peut notamment s’agir d’« évincer le conjoint violent du domicile conjugal » ou de « lui interdire d’entrer en contact avec la victime » précise le rapport de la Commission des lois du Sénat mis en ligne le 30 octobre 2019.

Le rapport propose de confier le contentieux à la juridiction de proximité et de sensibiliser les barreaux et les écoles de formation des avocats pour qu’ils aient recours plus systématiquement à cette procédure.

Un guide a d’ailleurs été édité sur ce sujet par la Direction des affaires civiles et du Sceau en septembre 2019 : « il convient d’en assurer une large diffusion auprès des barreaux » a indiqué le rapport.

Parallèlement, la proposition de loi prévoit de modifier les article 515-9, 515-10 et 510-11 du Code civil. Il s’agirait de :

  • fixer un délai de six jours pour délivrer l’ordonnance à compter du moment où le juge aux affaires familiales fixe la date de l’audience ;
  • permettre la délivrance d’une ordonnance même sans plainte pénale préalable ;
  • permettre la délivrance d’une ordonnance même quand il n’y a jamais eu de cohabitation.

Lors de son intervention au colloque organisé par la Cour de cassation et l’École nationale de la magistrature autour des violences au sein du couple, Nicole Belloubet annonçait précisément souhaiter « qu’il soit davantage recouru aux ordonnances de protection. C’est un instrument qui peut être très efficace mais qui est en France trop rarement prononcé ».

Une grille d’évaluation du danger commune à toutes les forces de l’ordre

Annoncée en septembre lors du Grenelle, la grille d’évaluation du danger commune aux forces de l’ordre face aux violences conjugales a été établie. Elle se compose de 23 questions identifiant les principaux facteurs de risque. Elle va être diffusée dans tous les commissariats et brigades de gendarmerie.

Le ministère de l’Intérieur annonce trois objectifs :

  • permettre aux forces de l’ordre d’avoir une appréciation précise et objective du danger encouru ;
  • leur permettre de prendre les mesures adaptées pour mettre à l’abri la famille ;
  • libérer la parole des victimes et les convaincre de porter plainte.

Mise en place du bracelet anti-rapprochement

En septembre dernier, le Premier ministre avait annoncé l’urgence de protéger les femmes en empêchant l’auteur des violences de les approcher grâce à l’utilisation des bracelets anti-rapprochement. Deux mois après, Édouard Philippe a annoncé que « le Parlement a adopté à la quasi-unanimité, la généralisation du bracelet anti-rapprochement ».

Pour rappel, le dispositif permet de géolocaliser, en temps réel, l’auteur des violences grâce à un bracelet mais également la victime via un boîtier. Dans un premier temps, l’auteur est prévenu par un centre de surveillance qu’il doit s’éloigner de la victime s’il s’en est trop rapproché. S’il n’obtempère pas, les forces de l’ordre sont appelées et la victime prévenue.

La proposition de loi, examinée en commission mixte paritaire, prévoit d’étendre le dispositif en cas de placement sous contrôle judiciaire, emprisonnement assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve et aménagement de peine. Recourir à cette mesure serait ainsi possible en cas d’infraction punie d’au moins trois ans, à la demande ou avec le consentement exprès de la victime. Mille bracelets pourraient être mis à disposition dès 2020.

Encourager le recours au téléphone grave danger

Le Parlement procède également à des ajustements pour encourager le recours au « téléphone grave danger ». Ce qui passerait par une modification de l’article 41-3-1 du Code de procédure pénale. Un dispositif qui permet aux procureurs de la République d’attribuer à une victime de violences conjugales un téléphone permettant de la géolocaliser et d’alerter les forces de l’ordre pour qu’ils interviennent rapidement.

Le rapport publié par le ministère de la Justice préconise notamment le fait de sensibiliser et d’informer sur les dispositifs de protection existants notamment les téléphones graves danger. Il recommande de « permettre l’attribution des téléphones grave danger sans les réserver aux seules situations d’extrême danger et réduire à 24/48 heures le processus d’évaluation sur l’opportunité d’attribution d’un tel dispositif sans attendre le prononcé d’une interdiction judiciaire de contact ». La proposition de loi va dans le sens du rapport de l’IGJ et propose d’autoriser l’attribution du téléphone en cas d’urgence, sans nécessairement attendre une décision judiciaire.

A ce propos, Nicole Belloubet, soulignait une nette progression de l’utilisation du dispositif lors du colloque sur la lutte contre les violences au sein du couple, passant de 300 appareils attribués en mars 2019 à 680 aujourd’hui. Tout en précisant néanmoins que « cela est un progrès mais il faut aller encore plus loin ».

Autres mesures annoncées lors du Grenelle des violences conjugales :
– saisine des armes à feu dès la plainte ;
– dépôt de plainte à l’hôpital ;
– 360 millions de budget 2020 contre les violences sexuelles et sexistes ;
– 79 psychologues recrutés pour les commissariats ;
– numéro d’écoute national 3919 ouvert 24h/24 et 7j/7 ;
– reconnaître le phénomène du « suicide forcé » en mettant en place une nouvelle circonstance aggravante pour – les auteurs en cas de harcèlement ayant conduit au suicide ou à une tentative de suicide ;
– inscription dans les Codes civil et pénal la notion « d’emprise ».
Gouvernement, Infographie, 25 nov. 2019 ; Gouvernement, communiqué, 25 nov. 2019 ; Premier ministre, 25 nov. 2019

https://www.christian-finalteri-avocat.fr/cabinet-avocat-competences/droit-famille/