OBLIGATION DE SECURITE DE L’EMPLOYEUR : Office du juge en cas de violation (Cass. crim., 13 nov. 2019, n° 18-82718)

Construction : Engagement fiscal de construire

OBLIGATION DE SECURITE DE L’EMPLOYEUR : Office du juge en cas de violation (Cass. crim., 13 nov. 2019, n° 18-82718)

En application de l’article 223-1 du Code pénal, il incombe au juge de rechercher, au besoin d’office et sans qu’il soit tenu par les mentions ou l’absence de mention de la citation pour mise en danger sur ce point, l’existence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation est susceptible de permettre la caractérisation du délit. Il lui appartient ensuite d’apprécier le caractère immédiat du risque créé, puis de rechercher si le manquement relevé ressort d’une violation manifestement délibérée de l’obligation de sécurité.

Une société de conception et de construction de batteries de haute technologie, disposant d’un site consacré à la fabrication et l’assemblage d’accumulateurs utilisant une technologie, dite « nickel-cadmium », qui requiert l’utilisation de matériaux classés dans la catégorie des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (agents CMR), après avoir instauré depuis 2003 un protocole visant à réduire les risques d’exposition au cadmium, outre un suivi médical des travailleurs exposés, cède l’activité d’un site à une autre société dix ans plus tard. À la demande du CHSCT de cet établissement, un cabinet d’expertise, agréé par le ministère du travail, missionné avant que cette cession n’intervienne, établit un rapport après une visite des lieux décrivant certaines insuffisances du dispositif mis en œuvre sur le site.

La société cédante et le chef de l’établissement sont convoqués devant le tribunal correctionnel par citation directe, à l’initiative de seize salariés et d’un syndicat, parties civiles, pour avoir, sur ce site, exposé directement des salariés à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité en :

a) Concevant des procédés de travail ne limitant pas l’exposition des salariés aux substances chimiques dangereuses pour leur santé et notamment en : i. N’organisant pas le temps de travail de manière à permettre aux salariés travaillant avec des substances chimiques dangereuses pour la santé de disposer de temps dédié à l’hygiène individuelle et à l’habillage et au déshabillage avant et après les pauses ; ii. Entravant l’usage du matériel de protection individuel par l’affectation d’un seul salarié sur deux postes de travail au sein de l’atelier PME ; iii. Faisant fonctionner la ligne 14 de l’atelier montage avec les portes ouvertes, engendrant une exposition directe à des poussières de cadmium des salariés amenés à intervenir à l’intérieur des confinements ; iv. N’organisant pas la séparation physique entre les ateliers exposés et non exposés aux substances chimiques dangereuses de sorte à limiter le risque.

b) Omettant de mettre en place du matériel adéquat et efficace d’aspiration collective de nature à éviter la propagation au sein des espaces de travail des substances chimiques cancérigènes notamment, en n’équipant pas de protection collective les postes de la préparation des pâtes de dispositif dans les ateliers et en mettant en place des installations collectives inefficaces conduisant à une dispersion des substances chimiques nocives pour la santé dans l’environnement de travail des salariés.

c) S’abstenant d’équiper l’ensemble des salariés affectés aux postes exposés aux agents chimiques dangereux de masques à ventilation assistée correspondant aux normes en vigueur.

d) S’abstenant d’organiser des examens médicaux et des examens complémentaires à tous les salariés exposés au cadmium à la suite de la reconnaissance par la sécurité sociale d’un cancer broncho-pulmonaire en janvier 2012.

e) S’abstenant d’équiper les salariés de vêtements de protection ou vêtement appropriés dès leur prise de service.

f) S’abstenant d’organiser la séparation physique des espaces au sein desquels les agents chimiques cancérigènes sont utilisés des autres parties de l’usine.

g) En ne remettant pas leurs attestations d’expositions à l’ensemble des salariés transférés le 1er juin 2013 vers une autre société.

La cour d’appel de Bordeaux, pour dire le délit de mise en danger d’autrui non caractérisé, énonce, après avoir analysé les motifs retenus par les premiers juges, qu’aucun grief n’est établi au regard d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, ladite obligation devant s’entendre, conformément à la jurisprudence et à la doctrine, comme une norme suffisamment précise pour que soit déterminable sans équivoque la conduite à tenir dans telle ou telle situation et pour que les écarts à ce modèle puissent être aisément identifiés comme hypothèse de mise en danger.

Les juges ajoutent qu’à supposer que l’on admette que certaines règles de prudence, notamment dans l’organisation du travail ou des locaux, qui n’auraient pas été respectées, pourraient ressortir à une acception large notamment des 3° et 6° de l’article R. 4412-70 du Code du travail, le caractère manifestement délibéré de la violation de ces normes ne peut être retenu, l’employeur ayant manifesté depuis des années un réel souci de progresser dans la sécurité au travail, comme le démontrent notamment la mise en place des contrôles effectués par le bureau Veritas, la formalisation du plan cadmium, la généralisation des contrôles biologiques des salariés, l’abaissement des seuils d’aptitude pour les salariés exposés au cadmium ou encore le processus de reclassement des salariés concernés sur des postes non exposés.

La cour d’appel relève enfin que, s’il ressort du rapport d’expertise, sur lequel les parties civiles assoient leurs demandes, que le procès industriel peut être amélioré à plusieurs égards afin de diminuer l’exposition des salariés aux agents CMR, ledit rapport ne comporte aucune analyse ni mesure des produits que contiennent les dépôts de poussière dont il constate l’existence en différents ateliers du site cédé, en sorte qu’il ne peut combattre utilement les mesures effectuées régulièrement et depuis plusieurs années par le bureau Véritas, communiquées par la défense, qui révèlent que les niveaux d’exposition des salariés au nickel et au cadmium sont inférieurs aux valeurs limites d’exposition professionnelles promues par les pouvoirs publics.

En prononçant ainsi, alors qu’il lui incombe de rechercher celles des obligations particulières de prudence ou de sécurité imposées par la loi ou le règlement régissant l’emploi d’agents CMR, qui, objectives, immédiatement perceptibles et clairement applicables sans faculté d’appréciation personnelle du sujet, sont susceptibles d’avoir été méconnues, puis, d’apprécier dans cette hypothèse, si compte tenu des modalités de l’exposition aux agents CMR, les plaignants ont été exposés à un risque immédiat, de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente, enfin, de rechercher si le ou les manquements le cas échéant relevés ressortissent à une violation manifestement délibérée de l’obligation de sécurité, la cour d’appel méconnaît le sens et la portée du texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

Texte intégral de l’arrêt en suivant ce lien : https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_criminelle_578/2176_13_43875.html

https://www.christian-finalteri-avocat.fr/cabinet-avocat-competences/droit-penal/