La CARPA : Elle protège l’avocat (C. comptes, 12 avr. 2019, n° 2019-812)

La CARPA : Elle protège l’avocat (C. comptes, 12 avr. 2019, n° 2019-812)

C’est un arrêt bien aride qu’a prononcé la Cour des comptes le 12 avril 2019. Mais derrière l’apparente technicité du sujet se dissimule une importante victoire pour les avocats. Et un soulagement.

L’affaire remonte à 2017. La Cour des comptes décide de se pencher sur le fonctionnement de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). C’est un établissement public créé en 2002 et placé sous la tutelle du ministère de la Santé qui se charge d’organiser « le dispositif d’indemnisation amiable, rapide et gratuit des accidents médicaux fautifs et non fautifs ». Lorsqu’un avis de la commission de conciliation et d’indemnisation retient la responsabilité d’un acteur de santé et désigne un assureur pour procéder au paiement mais que la victime n’a pas de réponse de ce dernier, l’ONIAM procède au règlement et sera subrogé dans ses droits. Seulement voilà, au terme d’une étude approfondie du fonctionnement du dispositif, la Cour des comptes conclut que c’est un échec. Elle dénonce un problème d’organisation, l’ONIAM, établissement payeur, s’étant arrogé le droit de revenir sur les avis des commissions d’indemnisation. Résultat ?  Les délais de traitement s’allongent au point de dépasser ceux des juridictions (2 ans pour une décision de première instance contre 2 ans et 9 mois devant l’ONIAM). Aussi et surtout, la Cour des comptes constate de « nombreuses et graves défaillances de gestion » : système d’information onéreux et inefficace, gestion laxiste et failles dans le recouvrement. C’est dans ce contexte que les avocats se retrouvent dans ligne de mire de la cour : « L’établissement a confié sans base légale à ses avocats le recouvrement des décisions de justice. Il compte régulariser pour l’avenir le dispositif par une convention de mandat, de manière discutable et sans même procéder au préalable à un inventaire de ses créances en croisant les états transmis par les avocats avec les fichiers contentieux ».

Accusés de gestion de fait. À cela s’ajoute une confusion au sein de l’organisme entre les fonctions d’ordonnateur et de comptable public. Dans son rapport annuel 2012, la Cour des comptes rappelait déjà : « L’ordonnateur ne paie pas les dépenses et n’encaisse pas les recettes de l’organisme public. Ces tâches sont confiées à un fonctionnaire particulier, le comptable public, qui doit effectuer divers contrôles à cette occasion ». Or, en l’espèce le directeur juridique avait confié à six cabinets d’avocats le soin de l’assister dans les recours subrogatoires et le comptable se plaignait de n’être pas informé des procédures. Non seulement on empiétait sur sa mission de recouvrement, estimait-il, mais en plus il était dans l’impossibilité de tenir un état des créances.  C’est ainsi qu’en septembre 2017 une procédure a été ouverte à l’encontre de plusieurs responsables de l’ONIAM et des avocats devant la section contentieuse de la Cour des comptes pour immixtion dans les fonctions de comptable public de l’ONIAM. « Nous avons dénoncé à l’audience le préjugé que constituaient les appréciations du rapport public de la Cour des comptes pour 2017 critiquant le recours aux avocats. Il est apparu que la confusion entre l’ordonnateur et le comptable, le second n’étant que peu ou pas informé des paiements, l’a placé dans l’incapacité de produire un état précis des créances et le parquet général a essayé d’en reporter la faute sur les avocats, en prétendant que ceux-ci auraient été chargés de recouvrer les sommes dues en exécution des décisions judiciaires » explique Michel Levy,  l’avocat de l’un des six cabinets mis en cause par la cour des comptes. C’est ainsi qu’il leur était reproché de s’être comportés en gérants de fait au sens de l’article 60 XI de la loi du 23 février 1963. Cet article qui définit la mission du comptable public, précise : « Toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d’un comptable public, s’ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d’un poste comptable ou dépendant d’un tel poste doit, nonobstant les poursuites qui pourraient être engagées devant les juridictions répressives, rendre compte au juge financier de l’emploi des fonds ou valeurs qu’elle a irrégulièrement détenus ou maniés ».
 

« La cour estime que le recours aux comptes CARPA ne permet pas de parler de gestion de fait
dès lors que les avocats n’ont que la détention matérielle des fonds,
et aucune possibilité d’en disposer »

Mandat ad litem et compte CARPA. Dans sa décision du 12 avril 2019, la Cour des comptes écarte ces accusations pour deux raisons. D’une part, elle s’appuie sur le mandat ad litem tel que décrit dans l’article 420 du Code de procédure civile qui énonce : « L’avocat remplit les obligations de son mandat sans nouveau pouvoir jusqu’à l’exécution du jugement pourvu que celle-ci soit entreprise moins d’un an après que ce jugement soit passé en force de chose jugée ». La cour en déduit que les avocats étaient dans leur rôle en recevant des fonds issus de décisions judiciaires pour le compte de leurs clients, sans qu’il y ait lieu en l’espèce de distinguer entre personnes de droit privé ou de droit public. D’autre part, la cour estime que le recours aux comptes CARPA ne permet pas de parler de gestion de fait dès lors que les avocats n’ont que la détention matérielle des fonds, et aucune possibilité d’en disposer.

Pour les avocats concernés, c’est un soulagement.  « Si la cour avait jugé l’inverse, ils auraient pu voir  leur responsabilité personnelle recherchée pour des irrégularités dans la gestion de l’ONIAM, estimées à quelques 92 millions d’euros. En l’espèce, la procédure a montré que les avocats avaient respecté scrupuleusement la réglementation et n’avaient commis strictement aucune faute, c’est important de le souligner » précise Michel Lévy. En outre, cela aurait remis en cause toute l’organisation de notre profession, qui repose sur la perception et le versement des fonds liés à l’exécution d’une décision de justice, sur les comptes CARPA ». Le secrétaire général de la CARPA, Jean-Charles Krebs, se félicite pour sa part de cette reconnaissance du rôle des caisses des avocats : « cette décision qui précise utilement la portée du mandat ad litem de l’article 420 du Code de procédure civile confié aux avocats par des personnes de droit public, énonce par ailleurs qu’en respectant rigoureusement les obligations légales et règlementaires qui s’imposent à eux pour le maniement des sommes dues à leurs clients en exécution d’une décision de justice, les avocats ne peuvent se voir reprocher d’avoir manié et détenu de façon irrégulière des fonds publics, du fait de l’intervention obligatoire de la CARPA qui les protège de la sorte du  grief de gestion de fait. Cette décision illustre ainsi l’intérêt pour les avocats de respecter scrupuleusement le dispositif de la CARPA. »

Mise en garde. Si cette décision est une victoire, elle doit néanmoins inciter les avocats à la prudence. « Les confrères doivent être attentifs à la distinction entre ordonnateur et comptable et s’assurer qu’ils sont bien en relation avec le comptable public dans le cadre d’un mandat ad litem, prévient Michel Lévy. D’une manière générale, les règles de comptabilité publique sont très mal connues et comme c’est un droit très spécifique, il peut représenter des pièges redoutables. Par ailleurs, cette décision ne concerne que le recouvrement de sommes résultant de l’exécution d’une décision judiciaire. Rien ne dit qu’il en serait de même, en cas de transaction ».  

Texte intégral de la décision en cliquant ici : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/imported_pdf/2019-04-25/S-2019-812_Ano.pdf

https://www.christian-finalteri-avocat.fr/avocat-bastia/cabinet-avocat-actualites/procedure-civil.html