BAIL A USAGE D’HABITATION : Les « Marchands de sommeil » (Cass. crim., 14 nov. 2019, n° 18-84565)

BAIL A USAGE D’HABITATION : Les « Marchands de sommeil » (Cass. crim., 14 nov. 2019, n° 18-84565)

A la suite de la plainte déposée par un locataire, le procureur de la République ouvre une enquête préliminaire concernant les 17 logements d’un ensemble appartenant à une SCI. Auparavant, à la suite d’un signalement effectué par la locataire d’un des logements de l’immeuble, les services de l’Agence Régionale de la Santé avaient procédé à plusieurs contrôles des habitations, conduisant à la prise de cinq arrêtés préfectoraux notifiés au propriétaire pour logements insalubres ou impropres à la location. À l’issue de l’enquête pénale, la SCI et son gérant sont cités à comparaître devant le tribunal correctionnel pour y répondre des chefs de soumission et soumission aggravée de personne vulnérable ou dépendante à des conditions d’hébergement contraires à la dignité humaine, menace ou actes d’intimidation en vue de contraindre l’occupant d’un local insalubre à renoncer à son droit au relogement et infractions au Code de la santé publique et au Code de la construction.

Pour répondre aux conclusions des demandeurs au pourvoi qui soutiennent avoir proposé une offre de logement dans l’ensemble d’habitation de la SCI, l’arrêt retient que les deux logements ont été déclarés impropres à l’habitation par arrêtés préfectoraux notifiés et que, compte-tenu de la pratique d’atermoiement et de tergiversation systématique des prévenus, de l’état général de la résidence qui perdure dans le temps, après les nombreuses visites officielles effectuées et de l’absence de réalisation de travaux significatifs visant à remédier aux nombreux désordres, les offres de relogement sont artificielles.  Ainsi, dès lors que le délit poursuivi est constitué par le non-respect, en connaissance de cause, d’arrêtés pris afin d’assurer la protection de la santé et de la dignité des occupants des lieux, la cour d’appel caractérise l’élément intentionnel des délits dont elle déclare les prévenus coupables.

La cour d’appel qui relève que la locataire, qui n’a reçu aucune proposition de relogement malgré l’engagement du propriétaire, a quitté le logement plusieurs mois plus tard lorsqu’elle a été relogée par la mairie et que l’Agence Régionale de la Santé, lors d’une visite en date du 19 juillet 2016, a constaté la présence d’autres effets personnels attestant que, malgré l’interdiction d’habitation, le local était toujours habité, justifie sa décision de déclarer les prévenus coupables de mise à disposition aux fins d’habitation d’un local impropre à l’habitation malgré une mise en demeure par décision administrative et de refus de reloger ou d’héberger l’occupant d’un local insalubre, sans se contredire, dès lors qu’il appartenait aux prévenus d’exécuter l’arrêté préfectoral d’insalubrité qui leur avait été notifié.

Pour répondre aux conclusions des demandeurs, qui soutiennent qu’à la date de conclusion du contrat de location, l’un des locataires était employé en CDI et qu’à aucun moment il n’avait fait état de sa situation de précarité financière ou de vulnérabilité, l’arrêt retient que les deux locataires étaient dans une situation économique précaire et que les demandeurs avaient été mis en demeure de réaliser des travaux de mise en conformité dans un délai de six mois après l’arrêté d’insalubrité remédiable et énonce, en outre, que la défense ne peut utilement invoquer que le jour de la conclusion du contrat, le locataire était titulaire d’un CDD en qualité de manutentionnaire et qu’il bénéficiait du cautionnement de son père, que son état de précarité, accentué par la présence de son amie, sans ressources, était caractérisé par la modestie de ses revenus, bénéficiant d’un travail à mi-temps partiel, à rapprocher du montant élevé du loyer, totalement prohibitif pour ce secteur géographique, qu’enfin les diverses constatations matérielles, jamais contestées juridiquement, témoignent de conditions de logement incompatibles avec la dignité humaine.

Par ces motifs, procédant de son appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d’appel caractérise en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont elle déclare les prévenus coupables et justifie sa décision au regard des articles 225-14 et 225-16 du Code pénal.

Mais concernant d’une autre locataire, les demandeurs sont poursuivis pour l’avoir soumise, alors qu’elle se trouvait dans une situation financière précaire, à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, en lui louant un local par nature impropre à l’habitation du fait de sa configuration, résultant de l’absence de pièce de 9 m², de sa suroccupation, des traces d’humidité, de moisissures, d’infiltrations, de l’absence de ventilation, du manque d’isolation et de son exiguïté, constatées au cours de l’enquête préliminaire, notamment par des clichés photographiques indiqués au jugement.

Pour répondre aux conclusions des demandeurs, qui soutiennent que le contrat de location a été prévu pour une seule personne, que la locataire a accueilli quatre autres personnes et un animal sans en aviser le propriétaire comme peuvent l’attester les deux lettres recommandées envoyées par le gérant de la SCI, la cour d’appel retient que celle-ci occupait avec ses deux enfants âgés de 2 et 4 ans, un studio de 18 m², en vertu d’un bail, en contrepartie d’un loyer, qu’un arrêté d’insalubrité a mis en demeure la SCI de faire cesser définitivement la mise à disposition du local aux fins d’habitation et que la défense ne saurait utilement se prévaloir de la prétendue méconnaissance par la locataire de son obligation de bonne foi contractuelle quant au nombre de ses enfants vivant dans le logement et de son statut de mère célibataire alors que le propriétaire, par sa présence quotidienne au restaurant et par sa surveillance assidue de l’immeuble, en avait eu nécessairement une connaissance précise.

Ainsi, en se déterminant par des motifs ne se rapportant pas aux faits de la prévention et sans répondre aux conclusions relatives à l’envoi et la réception des lettres recommandées avec accusé de réception, la cour d’appel ne justifie pas sa décision.